Page:Sue - Les Sept Péchés capitaux, 1852.djvu/105

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madame de Mirecourt qui l’accueillit à merveille et lui dit très innocemment, sans croire rencontrer si juste :

— Je suis sûre que vous venez un peu pour moi, monsieur de Mornand, et beaucoup pour voir la lionne de cette soirée, mademoiselle de Beaumesnil.

Le futur ministre sourit et répondit avec une infernale diplomatie :

— Je vous assure, madame, que je suis venu tout naïvement pour avoir l’honneur de vous présenter mes hommages, et assister à une de ces fêtes charmantes que vous seule savez donner.

Et M. de Mornand, s’étant incliné, s’éloigna de madame de Mirecourt, et dit tout bas à de Ravil :

Va donc voir si elle est dans les autres salons… Moi… je reste ici, tâche de m’amener le baron, si tu le rencontres.

De Ravil fit un signe d’intelligence à son Pylade, se mêla aux groupes, et se dit, en pensant à sa rencontre de la veille, dont il s’était bien gardé de parler à M. de Mornand :

— Ah ! cette héritière s’en va seulette… en grisette, dans des quartiers déserts, et revient trouver cette abominable madame Laîné qui l’attend complaisamment en fiacre… Je ne m’étonne plus si cette indigne gouvernante m’a déclaré net, il y a quinze jours, que je ne devais plus compter sur son influence que j’avais espéré si bien escompter. Mais au profit de qui favorise-t-elle cette intrigue de la petite de Beaumesnil ? car il doit y avoir nécessairement là une intrigue. Ce gros niais de Mornand n’y est pour rien… je l’aurais su… Il faut que je démêle le vrai de tout cela… — car plus j’y songe, plus il me semble qu’il y a là motif… à faire chanter la poule aux œufs d’or… et sur ce, observons.

Au moment où le cynique se perdait dans la foule, la duchesse de Senneterre arrivait, mais seule, et la figure altérée par une vive contrariété.

Madame de Mirecourt se leva pour aller au-devant de madame de Senneterre ; et, avec cet art que les femmes du monde possèdent à un si haut degré, elle trouva moyen, au milieu de cent personnes, et en ayant l’air d’adresser à la duchesse des banalités d’usage, d’avoir avec elle à demi-voix l’entretien suivant :

— Et Gerald ?…

— On l’a saigné ce soir.

— Ah ! mon Dieu ! qu’a-t-il donc ?

— Depuis hier il est dans un état affreux.

— Et vous ne m’avez pas prévenue, chère duchesse ?

— Jusqu’au dernier moment il m’avait promis de venir… quoiqu’il souffrît beaucoup.

— C’est désolant… mademoiselle de Beaumesnil peut arriver d’un moment à l’autre… et vous l’auriez chambrée dès son entrée…

— Sans doute… aussi je suis au supplice… et… ce n’est pas tout…

— Quoi donc encore, chère duchesse ?

— Je ne sais pourquoi… il m’est revenu des doutes sur les intentions de mon fils.

— Quelle idée !

— C’est qu’il mène une vie si singulière depuis quelque temps…

— Mais alors il ne vous eût pas promis encore aujourd’hui, et quoique souffrant, de venir ici ce soir pour se rencontrer avec mademoiselle de Beaumesnil.

— Sans doute… et, d’un autre côté, ce qui me rassure, c’est que M. de Maillefort, dont madame de La Rochaiguë redoutait l’insupportable pénétration, et que mon fils avait imprudemment mis dans la confidence de nos projets… c’est que M. de Maillefort est pour nous, car il sait le but de la rencontre de ce soir, et il devait nous accompagner moi et Gerald.

— Enfin, que voulez-vous, ma chère duchesse, ce n’est qu’une occasion perdue ; mais, en tout cas… dès que madame de La Rochaiguë va arriver avec mademoiselle de Beaumesnil… ne les quittez pas… et arrangez-vous avec la baronne pour que la petite n’accepte pour danseurs que des… insignifîans…

— C’est très important…

Et après avoir ainsi causé quelques instans debout, les deux femmes s’assirent sur un sopha circulaire.

De nouveaux personnages venaient à chaque instant saluer madame de Mirecourt ; soudain madame de Senneterre fit un mouvement et dit tout bas et vivement à son amie : — Mais, c’est M. de Macreuse qui vient d’entrer… vous recevez donc cette espèce ?

— Comment, ma chère duchesse ? mais je l’ai vu mille fois chez vous… et c’est une de mes meilleures amies, la sœur de monseigneur l’évêque de Ratopolis… madame de Cheverny, qui m’a demandé une invitation pour M. de Macreuse ; d’ailleurs, il est reçu partout, et même avec distinction… car son Œuvre de saint Polycarpe

— Eh ! ma chère… saint Polycarpe ne fait rien du tout à la chose, — dit impatiemment la duchesse en interrompant madame de Mirecourt, — j’ai reçu ce monsieur comme tout le monde, et j’en suis aux regrets, car j’ai appris que c’était un bien grand drôle… je vous dirai même que c’est un homme à chasser de partout !… On parle d’objets de prix disparus pendant ses visites, — ajouta madame de Senneterre très mystérieusement et sans rougir le moins du monde de ce mensonge, car le protégé de l’abbé Ledoux n’était pas homme à s’amuser à des bagatelles.

— Ah ! mon Dieu ! — s’écria madame de Mirecourt, — mais, c’est donc un voleur ?

— Non, ma chère, seulement il vous emprunterait un diamant ou une épingle sans songer à vous en avertir…

Au moment même de cet entretien, M. de Macreuse qui, en s’avançant lentement, avait suivi du regard le jeu de la physionomie des deux femmes, soupçonna leur malveillance pour lui, mais vint néanmoins saluer la maîtresse de la maison avec un imperturbable aplomb, et lui dit :

— J’aurais désiré, madame, avoir l’honneur de me présenter chez vous ce soir sous les auspices de madame de Cheverny… qui avait bien voulu se charger de moi ; malheureusement elle est souffrante et me charge d’être auprès de vous, madame, l’interprète de tous ses regrets…

— Je suis désolée, monsieur, que cette indisposition me prive du plaisir de voir ce soir madame de Cheverny, — répondit sèchement madame de Mirecourt, encore sous l’impression de ce que venait de lui dire madame de Senneterre.

Mais le Macreuse ne se déconcertait pas facilement, et, s’inclinant ensuite devant la duchesse, il lui dit en souriant :

— J’ai moins à regretter ce soir le bienveillant patronage de madame de Cheverny, car il m’aurait été presque permis de compter sur le vôtre, madame la duchesse.

— Justement… monsieur… — répondit madame de Senneterre avec une expression de hauteur amère, — je parlais de vous à madame de Mirecourt lorsque vous êtes entré… et je la félicitais sincèrement d’avoir l’honneur de vous recevoir chez elle.

— Je n’attendais pas moins des bontés habituelles de madame la duchesse, à qui j’ai dû tant de précieuses relations dans le monde, — répondit M. de Macreuse, d’un ton respectueux et pénétré.

Après quoi, saluant de nouveau, il passa dans le salon voisin.

Le protégé de l’abbé Ledoux (ancien confesseur de madame de Beaumesnil), en vrai roué de sacristie, était trop madré… trop clairvoyant, trop soupçonneux, pour n’avoir pas senti, lors de son entrevue avec madame de Senneterre (entrevue où il s’était ouvert sur ses prétentions à la main de mademoiselle de Beaumesnil), qu’il venait, comme on dit vulgairement, de faire un pas de clerc, bien que la duchesse lui eût promis son appui.

Trop tard, le Macreuse s’était reproché de n’avoir pas réfléchi que la duchesse avait un fils à marier ; l’accueil sardonique et hautain qu’elle venait de lui faire confirma