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Page:Sue - Les Sept Péchés capitaux, 1852.djvu/104

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Mesdemoiselles de Senneterre sont excellentes… c’est le cœur de leur frère… mais la duchesse !

— Eh bien ! monsieur, — dit la pauvre Herminie, le cœur navré.

— Ah ! ma chère enfant, la duchesse est bien la femme la plus sottement infatuée de son titre qu’il y ait au monde. … ce qui est singulier, car elle est très grandement née. Or… le ridicule et la bête vanité du rang sont ordinairement le privilège des parvenus… En un mot, ma chère enfant, j’aimerais mieux vous voir en relations avec vingt M. Bouffard qu’avec cette femme d’une insupportable arrogance… Les Bouffard sont si niais, si grossiers, que leur manque d’usage amuse plutôt qu’il ne blesse ; mais chez la duchesse de Senneterre, vous trouveriez l’insolence la plus polie… ou la politesse la plus insolente que vous puissiez imaginer ; et vous surtout, ma chère enfant, qui avez à un si haut degré la dignité de vous-même, vous ne resteriez pas dix minutes avec madame de Senneterre sans être blessée à vif, vous ne remettriez jamais les pieds chez elle… Alors à quoi bon y entrer ?

— Je vous remercie… monsieur, — répondit Herminie, écrasée par cette révélation qui détruisait la folle et dernière espérance qu’elle avait conservée… malgré elle : que peut-être madame de Senneterre, touchée de l’amour de son fils… consentirait à la démarche que le légitime orgueil d’Herminie mettait comme condition suprême à son mariage avec Gerald.

Le marquis reprit :

— Non, non, ma chère enfant, cette maison-là ne vous mérite pas… et, en vérité, il faut que Gerald de Senneterre soit aussi aveuglé qu’il l’est par la tendresse filiale pour ne pas s’impatienter de l’extravagante vanité de sa mère, et ne pas s’apercevoir enfin que cette glorieuse a le cœur aussi sec qu’elle a l’esprit étroit… et que si quelque chose surpasse encore son égoïsme… c’est sa cupidité : j’ai de bonnes raisons pour le savoir… aussi je suis ravi de lui enlever une victime… en vous éclairant sur elle… Allons… à bientôt, mon enfant ! je suis tout content de vous avoir, par ce conseil, épargné quelques chagrins d’amour-propre, et ce sont les pires pour les nobles cœurs comme le vôtre… Mettez-moi donc souvent à même de vous être bon à quelque chose : si peu que cela soit, voyez-vous, je m’en contente… en attendant mieux. Ainsi donc, à samedi.

— À samedi, monsieur.

M. de Maillefort sortit.

Herminie resta seule à seule avec son désespoir, alors sans bornes.


XLV.


Le jour du grand bal donné par madame de Mirecourt était arrivé.

À cette fête brillante, les trois prétendants à la main de mademoiselle de Beaumesnil devaient se rencontrer avec elle.

Cette importante nouvelle, que la plus riche héritière de France allait faire ce soir-là son entrée dans le monde, était le sujet de toutes les conversations, l’objet de la curiosité générale, et faisait oublier la récente et triste nouvelle d’un suicide qui jetait dans la désolation l’une des plus illustres familles de France.

Madame de Mirecourt, la maîtresse de la maison, se montrait franchement glorieuse de ce que son salon eût l’étrenne de mademoiselle de Beaumesnil (cela se dit ainsi en argot de bonne compagnie), et elle se félicitait intérieurement en songeant que ce serait probablement chez elle que se concluerait le mariage de la célèbre héritière avec le duc de Senneterre, car, toute dévouée à la mère de Gerald, madame de Mirecourt était l’une des plus ardentes entremetteuses de cette union.

Postée, selon l’usage, dans son premier salon, afin d’y recevoir les femmes à leur entrée chez elle et d’y être saluée par les hommes, madame de Mirecourt attendait avec impatience l’arrivée de la duchesse de Senneterre : celle-ci devait être accompagnée de Gerald, et avait promis de venir de bonne heure ; cependant elle n’arrivait pas.

Un grand nombre de personnes, attirées par la curiosité, encombraient, contre l’habitude, ce premier salon, afin d’être des premières à apercevoir mademoiselle de Beaumesnil, dont le nom circulait dans toutes les bouches.

Parmi les jeunes gens à marier, il en était bien peu qui n’eussent apporté un soin plus minutieux que de coutume à leur toilette, non qu’ils eussent des prétentions directes, avouées, mais enfin… qui sait… les héritières sont si bizarres ! et qui peut prévoir les suites d’un entretien, d’une contredanse… d’une première et soudaine impression ?

Aussi, chacun, en jetant un dernier et complaisant regard sur son miroir, se rappelait toutes sortes d’aventures incroyables, dans lesquelles d’opulentes jeunes filles s’énamouraient d’un inconnu qu’elles épousaient contre le vœu de leur famille ; car tous ces dignes célibataires, d’une vertu rigide, n’avaient qu’une pensée : le mariage… et ils poussaient le scrupule, l’honnêteté si loin, ils aimaient tant le mariage, pour le mariage même, que l’épouse ne devenait plus guère à leurs yeux qu’un accessoire.

Chaque célibataire, selon le caractère de sa physionomie, s’était donc ingénié à se mettre en valeur :

Les beaux, à se faire encore plus beaux, plus conquérans :

Ceux d’un extérieur peu agréable ou laid, se partageaient l’air spirituel ou mélancolique :

Enfin, tous se disaient, ainsi que l’on fait lorsque l’on s’est laissé prendre au piége tentateur de ces loteries allemandes qui offrent des gains de plusieurs millions :

» Certes, il est absurde de croire que je gagnerai un de ces lots fabuleux ; j’ai contre moi je ne sais combien de millions de chances… mais enfin… l’on a vu des gagnans… »

Quant aux personnes dont se composait la société de madame de Mirecourt, elles étaient à peu près les mêmes qui avaient assisté quelques mois auparavant au bal de jour donné par madame de Senneterre ; et qui, lors de cette fête, avaient pris plus ou moins part aux conversations dont la mort présumable de madame la comtesse de Beaumesnil avait été le sujet.

Plusieurs de ces personnes se rappelaient aussi la curiosité qu’avait inspirée à cette époque mademoiselle de Beaumesnil, alors en pays étranger, et que personne ne connaissait ; la plupart des invités de madame de Mirecourt allaient donc enfin avoir dans cette soirée la solution de ce problème posé quelques mois auparavant :

La plus riche héritière de France était-elle belle comme un astre ? ou laide comme un monstre ? luxuriante de santé ? ou malingre et phthisique ? (et l’on se souvient que les fins gourmets en fait d’héritière avaient prétendu que rien n’était en ce genre plus délicat et plus recherché qu’une orpheline poitrinaire.)

Dix heures sonnaient.


Madame de Mirecourt commençait à s’inquiéter ; madame de Senneterre et son fils ne paraissaient pas, et mademoiselle de Beaumesnil pouvait arriver d’un moment à l’autre ; or, il avait été convenu qu’Ernestine serait pendant toute la soirée accostée de madame de La Rochaiguë et de madame de Senneterre, et que celle-ci ménagerait adroitement à Gerald la première contredanse avec l’héritière.

À chaque instant le monde se succédait plus pressé ; parmi les nouveaux venus, M. de Mornand, suivi de M. de Ravil, alla, de l’air du monde le plus désintéressé, saluer