Page:Sue - Les Sept Péchés capitaux, 1852.djvu/120

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pensée… oh ! bien douce, mademoiselle Ernestine… Si vous saviez avec quel contentement je songe à l’avenir, à notre avenir… je puis maintenant dire cela. Et mon brave et digne oncle, quelle joie… va être la sienne… de se voir entouré de nos soins !… car… cela ne vous contrariera en rien, n’est-ce pas mademoiselle Ernestine, de vivre auprès de lui ?… Il est si bon… il sera si heureux !

— Ne m’avez-vous pas dit, monsieur Olivier… qu’il m’appellerait sa fille ?… Je serai jalouse de justifier ce titre…

— Dites, mademoiselle Herminie, — reprit Olivier, s’adressant à la duchesse, — après une telle réponse… peut-il être un bonheur plus complet que le mien ?

— Non, monsieur Olivier, — reprit la duchesse en étouffant un soupir et songeant qu’elle aussi aurait pu jouir d’une félicité pareille, si Gerald eût été dans une position aussi modeste que celle d’Olivier… — non, je ne crois pas qu’il y ait de bonheur comparable au vôtre… ; et plus mérité ! aussi… je m’en réjouis pour mon amie.

— Dame, mademoiselle Ernestine, — dit Olivier en souriant, — nous ne serons pas de gros seigneurs… car un sous-lieutenant… c’est peu de chose… mais, du moins, une épaulette honorablement portée nivelle toutes les conditions… Et puis… je suis jeune… et, au lieu d’une épaulette… je puis en avoir deux… puis devenir chef d’escadrons… peut-être… colonel !…

— Ah ! monsieur Olivier ! — dit Ernestine en souriant à son tour, — voilà de l’ambition.

— C’est vrai ; maintenant, il me semble que j’en suis dévoré, d’ambition !… Je serais si heureux de vous voir jouir de la considération dont est entourée… la femme d’un colonel… Mon pauvre oncle… serait-il assez fier pour vous… pour moi… et aussi pour lui, de me voir ce grade !… Et puis, mademoiselle Ernestine… savez-vous que nous serions millionnaires… avec notre solde de colonel… Alors, quel plaisir pour moi de vous entourer de bien-être… d’un peu de luxe même… de vous faire oublier ce que votre première jeunesse a peut-être eu de pénible… et enfin de voir mon pauvre oncle à l’abri de la gêne… dont il a parfois tant souffert !…

— Oui, malgré vos généreux efforts, monsieur Olivier, — dit Ernestine avec émotion, — malgré les travaux continuels dont vous vous chargiez pendant votre congé…

— Ah ! mademoiselle Herminie, vous avez été bien indiscrète, — dit gaîment Olivier à la duchesse.

— En tout cas, — reprit-elle, — mon indiscrétion aura été très désintéressée, car, lorsque j’ai dit à Ernestine tout le bien que je savais de vous, monsieur Olivier, j’étais loin de me douter que vous deviez si tôt me justifier.

— Et moi, — reprit Ernestine en souriant, — je dirai à Monsieur Olivier, avec cette franchise dont il est avide, qu’il me méconnaît beaucoup s’il me croit ambitieuse du luxe qu’il me promet un jour…

— Et moi, — dit Olivier, — je répondrai tout aussi franchement que je suis horriblement égoïste… qu’en espérant pouvoir entourer mademoiselle Ernestine de bien-être et de luxe, je ne songe qu’au plaisir que je me promets…

— Mais moi, qui suis la raison en personne, — dit à son tour Herminie en souriant avec mélancolie, — je dirai à mademoiselle Ernestine et à M. Olivier qu’ils sont deux enfans de s’occuper de ces rêves dorés ; le présent ne doit-il pas les contenter ?

— Allons, je l’avoue, j’ai tort… — reprit gaîment Olivier, — voyez un peu où l’ambition vous conduit. Je pense à être colonel, au lieu de me dire que mon brave oncle et moi, grâce à ma solde de sous-lieutenant, nous n’avons jamais été aussi riches… près de mille écus par an… à nous deux… Quelle joie de pouvoir dire : à nous trois, mademoiselle Ernestine !

— Mille écus par an !… mais c’est énorme, cela, monsieur Olivier !… — s’écria la plus riche héritière de France. — Comment dépenser tant d’argent ?

— Pauvre petite ! se dit Olivier, tout glorieux d’être si gros seigneur !… — Je m’en doutais bien ; pour elle, si malheureuse jusqu’ici, c’est une grande fortune.

Et il reprit tout haut :

— C’est égal… mademoiselle Ernestine, nous en viendrons à bout, allez, de nos trois mille francs. D’abord je veux que vous soyez mise à ravir… des toilettes simples, mais élégantes.

— Mon Dieu ! quelle coquetterie… monsieur Olivier ! — dit Ernestine en riant.

— Pas du tout, mademoiselle… c’est de la dignité… La femme d’un officier… jugez donc, il y va de l’honneur du grade.

— S’il s’agit de l’honneur du grade, — reprit en riant mademoiselle de Beaumesmil, — je me résignerai… monsieur Olivier, mais à condition que votre cher oncle aura un joli jardin puisqu’il aime les fleurs…

— C’est bien entendu, mademoiselle Ernestine ; nous trouverons facilement un petit appartement avec un jardin dans un quartier retiré… car étant en garnison à Paris, nous ne pouvons demeurer aux Batignolles… et… ah ! mon Dieu !

— Qu’avez-vous donc, monsieur Olivier ?

— Mademoiselle Ernestine… — dit le jeune officier avec une gravité comique, — êtes-vous bonapartiste ?

— Moi… monsieur Olivier ? certainement, j’admire l’Empereur… Mais pourquoi cette question ?

— Alors, mademoiselle, nous sommes perdus ; mon pauvre oncle abritant, hélas ! sous son toit… la plus implacable ennemie du grand homme…

— Vraiment ! monsieur Olivier !

— Vous frissonnerez en entendant les effroyables histoires qu’elle en raconte ; mais, pour parler sérieusement, mademoiselle Ernestine… j’aurai à vous demander d’avance votre indulgence et votre intérêt pour une digne femme, la ménagère de mon oncle… qui depuis dix ans qu’elle le sert, n’a pas été un jour sans le combler de soins excellens… et sans le quereller à outrance au sujet de l’ogre de Corse.

— Eh bien ! monsieur Olivier je ne parlerai de mon admiration pour l’Empereur qu’à votre cher oncle… je la dissimulerai devant cette brave femme… Vous le verrez ; je serai très politique… et elle m’aimera malgré mon bonapartisme…

Madame Moufflon, la portière, ayant frappé à la porte, interrompit l’entretien en apportant une lettre pour Herminie.

Celle-ci, reconnaissant l’écriture de M. de Maillefort, dit à la portière de faire attendre un instant la personne qui lui avait remis cette lettre, à laquelle elle allait répondre.

Olivier, craignant d’être indiscret, et ayant hâte d’aller retrouver le commandant Bernard, afin de lui rendre compte de l’heureux succès de sa démarche, dit à mademoiselle de Beaumesnil :

— J’étais venu ici bien inquiet, mademoiselle Ernestine… je m’en vais… grâce à vous, le plus content des hommes… Je n’ai pas besoin de vous dire, mademoiselle… avec quelle impatience je vais attendre le résultat de votre détermination au sujet de votre parente… si vous jugez convenable que mon oncle fasse une démarche auprès d’elle, veuillez m’en informer.

— Lors de notre prochaine entrevue, monsieur Olivier, qui aura lieu ici chez Herminie, je vous dirai ce qu’il me paraît le plus convenable de faire.

— À cette entrevue, vous me permettrez, n’est-ce pas, d’amener mon oncle… car il aura tant à vous dire… — ajouta Olivier en souriant, — il aura un tel désir de vous voir qu’il y aurait de l’imprudence à ne pas l’admettre… il serait capable de tout… pour arriver jusqu’à vous, afin de vous dire sa joie et sa reconnaissance.

— Herminie et moi, nous ne pousserons pas votre cher oncle à de si terribles extrémités, car je suis moi-même très impatiente de le revoir… À bientôt donc, monsieur Olivier.

— À bientôt… mademoiselle…