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Mademoiselle Herminie peut un jour… avoir à son tour besoin de vous… Et d’ailleurs deux appuis valent mieux qu’un. Aussi, l’un de ces appuis, je me permettrais de vous l’offrir, si vous aviez en moi… autant de confiance… que j’ai pour vous de profonde et respectueuse affection.

— Monsieur, — dit Ernestine en tressaillant et en baissant les yeux… — je ne sais… si je dois…

— Tenez, mademoiselle, si j’étais encore soldat… car être soldat ou sous-officier, c’est tout un… je ne vous parlerais pas ainsi, j’aurais tâché d’oublier… non ma reconnaissance… mais le sentiment qui me la rend doublement chère… Y serais-je parvenu ?… Je ne sais… mais aujourd’hui… je suis officier… c’est pour moi une fortune… et cette fortune… laissez-moi vous l’offrir.

— À moi… monsieur, un sort si au-dessus de mes espérances ! — dit Ernestine en contenant à peine la joie ineffable que lui causait la proposition d’Olivier ; — à moi pauvre orpheline qui vis de mon travail…

— Ah ! mademoiselle… si j’étais assez heureux pour que vous acceptiez cette offre… loin d’acquitter une dette sacrée, j’en contracterais une autre envers vous… car je vous devrais le bonheur de ma vie ; mais cette dette-là, du moins, je serais certain de la payer à force de dévouement et d’amour… Oui, pourquoi… ne pas le dire, le dire bien haut ? il n’est pas d’amour plus profond… plus honorable que le mien ; il n’est pas de causes plus généreuses… plus saintes que celles qui me l’ont mis au cœur…

À ces mots, prononcés par Olivier avec un accent de conviction, de sincérité irrésistible, mademoiselle de Beaumesnil, dont le trouble avait toujours été croissant, éprouva un sentiment délicieux, jusqu’alors inconnu pour elle ; une vive rougeur couvrit son front et son cou, lorsque, par deux fois, elle jeta les yeux sur le noble et gracieux visage d’Olivier, alors rayonnant de loyauté, d’amour et d’espoir…

Ainsi Ernestine ne s’était pas trompée sur la signification du regard d’Olivier, alors qu’il avait appris devant elle sa nomination au grade d’officier…

La jeune fille se voyait… se sentait aimée…ardemment aimée… puis, bonheur inappréciable…telles étaient l’évidence, la noblesse des causes de cet amour, qu’elle ne pouvait douter de sa réalité.

Et croire à un tel amour, comprendre, apprécier tout ce qu’il a d’élevé, de tendre, de charmant, n’est-ce pas le partager, surtout lorsque, comme mademoiselle de Beaumesnil, l’on a vécu au milieu des appréhensions d’une défiance si cruellement justifiée par les événemens… d’une défiance qui menaçait de flétrir tous les projets que la triste héritière pouvait former pour son avenir ?

Aussi, pour elle, quelle joie ineffable de se dire :

» C’est moi… la pauvre orpheline sans nom, sans fortune, que l’on aime… parce que je me suis montrée sincère, vaillante et généreuse.

» Et je suis si véritablement aimée… que l’on m’offre un mariage inespéré, car il m’assure l’aisance, une position honorable et honorée à moi, que l’on croit destinée à vivre dans la gêne, presque dans la misère. »

Mademoiselle de Beaumesnil, confuse, heureuse, agitée de mille sensations nouvelles, rougissant et souriant à la fois, prit la main d’Herminie, auprès de qui elle était assise, et lui dit, épargnant ainsi à sa chaste réserve de répondre directement à la proposition d’Olivier :

— Oh ! vous aviez raison, Herminie, je devais me trouver bien fière… de l’offre de M. Olivier…

— Et cette offre… — dit Herminie, devinant la réponse de son amie, — cette offre, l’acceptez-vous, Ernestine ?

Mademoiselle de Beaumesnil, par un mouvement d’une grâce et d’une naïveté charmantes, se jeta au cou de la duchesse, l’embrassa tendrement et lui dit tout bas… bien bas :

— Oui… j’accepte…

Et Ernestine resta la tête à demi-cachée dans le sein d’Herminie pendant que celle-ci, pouvant à peine contenir ses larmes d’attendrissement, disait au jeune officier, profondément ému lui-même de cette scène charmante :

— Ernestine accepte, monsieur Olivier… J’en suis ravie pour vous et pour elle… car de ce moment… elle est à jamais heureuse…

— Oh ! oui, mademoiselle, — s’écria Olivier radieux, — car de ce moment… j’ai le droit de consacrer ma vie à mademoiselle Ernestine…

— Je vous crois… je crois à mon bonheur à venir, monsieur Olivier, — dit mademoiselle de Beaumesnil en relevant sa tête jusqu’alors appuyée à l’épaule de la duchesse.

Et alors, ses joues légèrement colorées, ses jolis yeux bleus brillant d’une joie pure et sereine, la jeune fille tendit cordialement sa petite main au jeune homme.

Olivier tressaillit en touchant cette main qu’il n’osa pas porter à ses lèvres, mais qu’il pressa légèrement avec une émotion remplie de tendresse et de respect.

— Puis, sans chercher à cacher les larmes qui lui vinrent aux yeux, il dit :

— Par cette main loyale que vous m’avez donnée librement… mademoiselle, je vous jure, et j’en prends à témoin votre amie… je vous jure que ma vie sera consacrée à votre bonheur !


LI.


Après les promesses échangées entre mademoiselle de Beaumesnil et Olivier Raimond, en présence d’Herminie, les trois acteurs de cette scène gardèrent pendant plusieurs instans un silence solennel.

Tous trois sentaient la gravité de cet engagement.

— Quel bonheur d’être riche !… — pensait Olivier ; — car maintenant je suis riche auprès de cette pauvre enfant, qui n’a que son travail pour vivre… Quel bonheur de pouvoir lui assurer une existence au-dessus de ses plus beaux rêves !

Et ses traits rayonnant de joie à cette pensée, il rompit le premier le silence, et dit à mademoiselle de Beaumesnil :

— Avant d’être certain de votre consentement, mademoiselle, je n’avais voulu faire aucune démarche auprès de votre parente… qui, j’ai tout lieu de l’espérer… n’est-ce pas ? agréera ma demande… Quant à mon oncle… ai-je besoin de vous dire que sa joie égalera la mienne… lorsqu’il saura qu’il peut vous appeler sa fille ?… Ce sera donc lui… si vous le jugez convenable… mademoiselle… qui se rendra auprès de votre parente pour lui faire ma demande.

Ces paroles d’Olivier jetèrent Ernestine dans une grande perplexité ; cédant à un élan de confiance irrésistible qui lui disait qu’elle rencontrerait chez Olivier toutes les garanties de bonheur et de sécurité possibles, elle n’avait pas réfléchi aux difficultés sans nombre résultant de son incognito, qu’elle ne pouvait… qu’elle n’osait rompre à l’instant même.

Pourtant, déjà quelque peu familiarisée avec les embarras soudains qui naissaient de la position qu’elle s’était créée, mademoiselle de Beaumesnil répondit à Olivier après un moment de silence :

— Je ne saurais vous dire aujourd’hui, monsieur Olivier… s’il est préférable que ce soit M. Bernard ou Herminie… qui aille trouver ma parente pour l’instruire de vos intentions… et de mon consentement… j’y penserai, et, la première fois que je vous verrai, je vous ferai part de ce que je crois le plus convenable…

— Ernestine a raison, monsieur Olivier, — reprit Herminie ; — d’après ce que je sais du mauvais caractère de sa parente… il faut agir avec prudence… car enfin, c’est un malheur… mais le consentement de cette parente… est indispensable au mariage d’Ernestine.

— Je m’en rapporte complètement à mademoiselle Ernestine et à vous, mademoiselle Herminie… sur la manière de faire cette démarche… Certain du consentement de mademoiselle Ernestine, je puis attendre dans cette douce