Page:Sue - Les Sept Péchés capitaux, 1852.djvu/126

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nestine et sur Herminie… Cette mission, il avait juré de la remplir ; aussi, ne pouvant contenir les sentimens qui débordaient son cœur, il serra passionnément les deux jeunes filles sur sa poitrine, en murmurant d’une voix étouffée par les sanglots :

— Oui… oui… chères et pauvres enfans… je ferai pour vous… ce que pourrait faire le plus tendre des pères.

Il est impossible de peindre cette scène touchante, de rendre l’effet du silence de quelques instans qui succéda et qu’Ernestine, radieuse d’espérance, interrompit la première en s’écriant :

— Herminie… nous sommes sauvées : vous épouserez M. Gerald, et moi M. Olivier.


LIV.


M. de Maillefort, en entendant mademoiselle de Beaumesnil s’écrier :

« — Herminie ! nous sommes sauvées ; vous épouserez M. Gerald, et moi M. Olivier ; »

M. de Maillefort secoua mélancoliquement la tête et reprit en souriant à demi :

— Un instant, mesdemoiselles, n’allez pas concevoir maintenant de folles espérances qui me tourmenteraient autant que votre désespoir… Voyons, mes enfans… parlons sagement, froidement ;… ce n’est pas en s’exaltant comme vous faites… et moi aussi par contre-coup, que l’on avance les affaires ; l’émotion vous brise, on souffre, on pleure, et voilà tout…

— Oh ! monsieur de Maillefort, ces larmes-là sont douces… — dit Ernestine en essuyant ses yeux, — il ne faut pas les regretter.

— Non… mais il ne faut pas les renouveler… cela trouble la vue… et nous avons besoin, mes pauvres enfans, de voir clair… bien clair, dans notre situation.

— M. de Maillefort a raison, — reprit Herminie, — soyons calmes, raisonnables…

— Oui, soyons raisonnables… — dit Ernestine, — monsieur de Maillefort, asseyez-vous là… entre nous deux… et causons sagement… froidement, comme vous dites.

— Voyons… — reprit le bossu, assis sur un canapé au milieu des deux jeunes filles et prenant une de leurs mains dans les siennes, — de qui allons-nous d’abord nous occuper ?

— D’Herminie… — dit vivement Ernestine.

— D’Herminie… soit, — répondit le marquis. — Herminie et Gerald s’aiment tendrement, ils sont dignes l’un de l’autre… c’est entendu ; mais, par un orgueil que j’admire et que j’approuve, parce qu’il n’est pas d’amour ou de bonheur possibles sans dignité, Herminie ne consent à épouser Gerald… que si elle reçoit au sujet de ce mariage la visite de la duchesse de Senneterre… Il s’agit de trouver le moyen d’amener à cette démarche la plus hautaine des duchesses… Rien que cela.

— Ah ! monsieur de Maillefort, — dit Ernestine, — rien ne vous est impossible… à vous.

— Entendez-vous cette petite câline avec sa douce voix, — reprit le marquis en souriant, — rien ne vous est impossible, à vous, monsieur de Maillefort !

Et il continua en soupirant :

— Chère enfant… si vous saviez ce que c’est que la vanité dans l’égoïsme ! et ces deux mots vous peignent madame de Senneterre. Mais enfin, quoique je ne sois pas un grand enchanteur, il me faudra tâcher de charmer ce monstre à deux têtes.

— Ah ! monsieur, dit Herminie, — si jamais vous pouviez opérer ce prodige, ma vie entière…

— J’y compte bien mon enfant… Oui, j’espère que, durant votre vie entière, vous m’aimerez… lors même que je ne réussirais pas dans ce que je veux entreprendre, car j’en serais, je crois, aussi malheureux que vous, et c’est surtout alors que j’aurai besoin de consolations. Maintenant, à votre tour, ma chère Ernestine…

— Oh ! moi, dit tristement mademoiselle de Beaumesnil, — ma position est encore plus difficile que celle d’Herminie.

— Ma foi ! je n’en sais rien… mais je dois vous prévenir, ma pauvre enfant, que je ne puis me mêler en rien de ce qui vous concerne… avant d’avoir pris de nouvelles informations sur M. Olivier Raimond…

— Comment, monsieur de Maillefort, — dit Ernestine, — celles que vous avez déjà sur lui ne suffisent pas ?

— Elles sont excellentes… en ce qui touche sa vie de soldat ; mais comme il ne s’agit pas d’un nouveau grade à lui conférer, et que l’on peut être un très brave officier et un très mauvais mari, je m’informerai… comme il convient…

— Pourtant M. de Senneterre vous a dit tout le bien possible de M. Olivier…

— Ma chère enfant, on peut être un excellent ami, un parfait camarade, et rendre sa femme malheureuse…

— Ah ! monsieur, quel soupçon ! Songez donc que {M.|Olivier}} me croit pauvre… et que…

— Tout cela est à merveille… la reconnaissance… la générosité… l’amour, l’ont amené à vous offrir ce qu’il croit une fortune inespérée pour vous ; c’est un premier mouvement, très généreux, et tout à l’heure j’en ai été moi-même si touché, si ému… que je me suis laissé entraîner comme vous et comme Herminie.

— Et maintenant, monsieur, — demanda Ernestine avec inquiétude, — est-ce que votre opinion aurait changé ?

— Maintenant, mon enfant, je ne juge plus seulement avec mon cœur, mais aussi avec ma raison… et ma raison me dit que si le premier mouvement de M. Olivier est excellent… ce n’est qu’un premier mouvement. Je ne doute pas un instant que M. Olivier ne tienne la promesse qu’il vous a faite… qu’il ne l’accomplisse avec honneur ; mais je veux être certain… autant que l’on peut être certain de quelque chose… que, dans le cas où M. Olivier vous épouserait, toute sa vie serait d’accord… avec ce premier mouvement que j’admire autant que vous.

Ernestine ne put cacher une sorte d’impatience douloureuse en écoutant ces sages et prudentes paroles.

Le marquis reprit d’un ton à la fois grave et tendre :

— Ma pauvre enfant, la confiance que vous mettez en moi, l’attachement que j’avais pour votre mère… l’intérêt même de votre avenir m’obligent de vous parler ainsi, de vous attrister peut-être… mais, je vous le jure, si M. Olivier me paraît digne de vous, alors je m’emploierai corps et âme à aplanir les nombreux obstacles qui s’opposent à votre mariage.

— Ernestine, — dit Herminie à son amie, — nous devons avoir une foi aveugle dans M. de Maillefort… la responsabilité qu’il prend en s’occupant de nous est si grande !… et, d’ailleurs, loin de redouter les informations qu’il veut prendre… provoquez-les au contraire ; elles vous seront une preuve de plus que M. Olivier est, comme je le crois aussi, moi, en tout digne de vous.

— C’est juste, Herminie, et vous, monsieur de Maillefort, pardonnez-moi, — dit timidement mademoiselle de Beaumesnil, — j’ai eu tort… mais, hélas ! il s’agit de ma seule chance de bonheur peut-être, jugez de mon inquiétude… de ma frayeur, lorsque je songe qu’elle pourrait m’échapper.

— C’est, au contraire, mon enfant, pour rendre cette chance plus certaine que je vous parle ainsi ; maintenant supposons que M. Olivier réunisse les qualités… que je désire… Il faudra d’abord décider votre tuteur à consentir à ce mariage… puis, chose plus difficile peut-être… je le crains… persuader M. Olivier qu’il peut, sans scrupule, épouser… la plus riche héritière de France, puisqu’il l’a aimée, la croyant pauvre et abandonnée…

— Hélas !… maintenant je suis comme vous… monsieur