Page:Sue - Les Sept Péchés capitaux, 1852.djvu/138

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lui pardonne le mal qu’il m’a fait… involontairement. C’est à vous, madame… à vous… sa mère… que… je jure… de ne le revoir jamais… et l’on doit croire à ma parole… Ainsi, madame, vous sortirez d’ici satisfaite et rassurée… mais je ne sais… ce que… j’éprouve… Monsieur de Maillefort… je vous… en prie… venez… je…

La malheureuse enfant ne put en dire davantage ; ses lèvres décolorées s’agitèrent faiblement, elle jeta un regard mourant et désespéré sur le bossu, qui, s’avançant vivement, la reçut dans ses bras, presque inanimée, la plaça dans un fauteuil, et dit à madame de Senneterre avec une expression terrible :

— Ah ! vous pleurerez des larmes de sang pour le mal que vous avez fait, madame ! Sortez… sortez ! vous voyez bien qu’elle se meurt.

En effet, Herminie, pâle comme une morte, ses bras alanguis, soutenus par les supports du fauteuil, avait la tête renversée et penchée sur son épaule. Son front, baigné d’une sueur froide, était à demi voilé par les grosses boucles de ses blonds cheveux, et, de ses yeux entr’ouverts, filtraient encore quelques larmes presque taries, tandis qu’un frémissement nerveux faisait de temps à autre tressaillir tout le corps de l’infortunée.

M. de Maillefort ne put retenir ses pleurs, et, d’une voix étouffée, il dit à madame de Senneterre :

— Vous jouissez de votre ouvrage, n’est-ce pas !…

Mais quelle fut la stupeur du bossu en voyant soudain l’attendrissement, la douleur, les remords se peindre sur les traits de cette femme altière qui, enfin, vaincue par la noble et touchante résignation d’Herminie, fondit à son tour en larmes, et dit au marquis d’un ton suppliant :

— Monsieur de Maillefort, ayez pitié de moi ; j’étais venue ici… décidée à tenir ma promesse… et puis, malgré moi, ma fierté s’est révoltée, j’ai perdu la tête… À cette heure… je me repens… j’ai honte… j’ai horreur de ma conduite insensée.

Et madame de Senneterre, courant à Herminie, souleva sa tête appesantie, la baisa au front et la soutint entre ses bras, disant d’une voix altérée :

— Malheureuse enfant, pourra-t-elle me pardonner jamais ?… Monsieur de Maillefort, du secours… appelez quelqu’un… sa pâleur m’épouvante.

Soudain un pas précipité retentit derrière la porte.

Elle s’ouvrit brusquement.

Gerald entra, les traits bouleversés, l’air égaré, menaçant… car du jardin où il s’était tenu caché, sans en prévenir Herminie et M. de Maillefort, il avait entendu les cruelles paroles de sa mère à la jeune fille.

— Gerald ! — s’écria le marquis stupéfait.

— J’étais là, — reprit-il d’un air farouche en montrant la fenêtre, — j’ai tout entendu… et…

Mais le duc de Senneterre n’acheva pas, saisi d’étonnement à la vue de sa mère qui soutenait sur son sein la tête d’Herminie.

— Mon fils… — s’écria aussitôt madame de Senneterre, — j’ai horreur de ce que j’ai fait, je consens à tout, épouse-la… c’est un ange : fasse le ciel qu’elle me pardonne.

— Oh ! ma mère… ma mère ! — murmura Gerald avec un accent d’ineffable reconnaissance, en tombant aux genoux d’Herminie et couvrant ses mains de larmes et de baisers.

— Bien… bien… — dit tout bas le marquis à madame de Senneterre, — c’est de l’adoration que votre fils aura pour vous maintenant.

À un mouvement que fit Herminie en essayant de soulever sa tête appesantie, Gerald s’écria :

— Elle revient à elle.

Et s’adressant à la jeune fille de la voix la plus pénétrante :

— Herminie… c’est moi… c’est Gerald !

À la voix de M. de Senneterre, Herminie tressaillit de nouveau, ouvrit lentement ses yeux, d’abord fixes, troubles, comme si elle sortait d’un rêve pénible…

Puis l’espèce de voile que l’évanouissement avait étendu sur sa pensée se dissipant peu à peu, la jeune fille dégagea doucement sa tête, jusqu’alors appuyée sur le sein de madame de Senneterre… et leva les yeux…

Quel étonnement !… elle reconnut la mère de Gerald… qui, la soutenant dans ses bras, la contemplait avec la plus tendre sollicitude…

Se croyant sous l’empire d’un songe, Herminie se redressa brusquement, passa ses mains brûlantes sur ses yeux, et ses regards, de plus en plus assurés, tombèrent d’abord sur M. de Maillefort, qui la contemplait avec un ravissement ineffable, puis sur Gerald, toujours agenouillé devant elle…

— Gerald !… — s’écria-t-elle.

Et aussitôt, avec une incroyable expression d’angoisse, de frayeur et d’espérance, elle retourna vivement la tête du côté de madame de Senneterre, comme pour s’assurer que c’était bien d’elle, en effet, qu’elle recevait des marques d’un touchant intérêt…

Gerald, remarquant le mouvement de la jeune fille, se hâta de dire :

— Herminie, ma mère consent à tout.

— Oui, oui, mademoiselle, — s’écria madame de Senneterre avec effusion, — je consens à tout !… j’ai de grands torts à me faire pardonner, mais j’y parviendrai à force de tendresse.

— Madame… il serait vrai !… — dit Herminie en joignant les mains. — Mon Dieu ! il serait possible… vous consentez… tout ceci n’est pas un songe.

— Non, Herminie, ce n’est pas un songe, — dit Gerald avec entraînement ; — nous sommes à jamais unis l’un à l’autre… vous serez ma femme.

— Non, ma noble et chère fille, ce n’est pas un songe, — dit à son tour, monsieur de Maillefort, — c’est la récompense d’une vie de travail et d’honneur.

— Non, mademoiselle, ce n’est pas un songe, — reprit madame de Senneterre, — car c’est vous, — ajouta-t-elle en regardant le marquis d’un air significatif, — vous, mademoiselle Herminie, qui vivez noblement de votre travail, c’est vous que j’accepte avec joie pour belle-fille, en présence de M. de Maillefort, car je suis certaine que mon fils ne peut faire un choix plus digne de lui… de moi et de sa famille…


. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .


Il faut renoncer à peindre les émotions diverses dont furent agités les acteurs de cette scène.

Une demi-heure après, madame de Senneterre et son fils prenaient affectueusement congé d’Herminie, et celle-ci, accompagnée de M. de Maillefort, se rendait en hâte chez mademoiselle de Beaumesnil, pour lui apprendre la bonne nouvelle et soutenir le courage de la plus riche héritière de France, car il s’agissait pour elle, ou plutôt pour Olivier, d’une dernière et redoutable épreuve.


LIX.


Pendant que M. de Seneterre reconduisait sa mère, au sortir de chez Herminie, celle-ci était, nous l’avons dit, montée en voiture avec M. de Maillefort, afin de se rendre chez mademoiselle de Beaumesnil.

L’on devine les délicieux épanchemens du bossu et de sa jeune protégée, dont le bonheur inespéré était désormais certain.

Le marquis connaissait assez madame de Senneterre pour être assuré qu’elle était incapable de rétracter le consentement solennel donné par elle au mariage de Gerald et d’Herminie ; néanmoins, M. de Maillefort se promit de se rendre le lendemain même chez madame de Senneterre, pour lui déclarer qu’il persistait plus que jamais dans la résolution d’adopter Herminie, qu’il aimait plus