Essuyant alors des larmes d’attendrissement, Ernestine dit à sa gouvernante :
— Et cette adresse ?
— Le maître d’hôtel était allé pour la savoir chez le notaire qui avait envoyé les cinq cents francs ; on la lui a donnée, et il a été la porter de la part de madame la baronne chez monsieur le marquis de Maillefort.
— Monsieur de Maillefort connaît aussi Herminie ?
— Je ne saurais le dire à mademoiselle ; tout ce que je sais, c’est qu’il y a un mois le maître d’hôtel a porté l’adresse d’Herminie chez monsieur le marquis.
— Cette adresse… ma chère Laîné… cette adresse !
Au bout de quelques instans, la gouvernante rapporta l’adresse d’Herminie, et Ernestine lui écrivit aussitôt :
Ma chère Herminie,
« Vous m’avez invitée à aller voir votre gentille petite chambre… j’irai après-demain mardi matin, de très bonne heure, bien certaine de ne pas vous déranger ainsi de vos occupations ; je me fais une joie de vous revoir, j’ai mille choses à vous dire.
Après avoir cacheté cette lettre, mademoiselle de Beaumesnil dit à sa gouvernante :
— Ma chère Laîné, vous porterez vous-même cette lettre à la poste… — Oui, mademoiselle.
Ernestine se dit :
— Mais après-demain matin ? pour sortir seule… avec madame Laîné, comment faire ?… Oh ! je ne sais, mais mon cœur me dit que je verrai Herminie.
Le matin du jour fixé par mademoiselle de Beaumesnil pour aller voir Herminie, Gerald de Senneterre venait d’avoir un long entretien avec Olivier. Les deux jeunes gens étaient assis sous cette tonnelle si particulièrement affectionnée par le commandant Bernard.
La figure du duc de Senneterre était très pâle, très altérée ; il semblait en proie à de pénibles préoccupations.
— Ainsi, mon bon Olivier, — dit-il à son ami, — tu vas la voir…
— À l’instant… Je lui ai écrit hier soir pour lui demander une entrevue… Elle ne m’a pas répondu… donc elle consent.
— Allons, — dit Gerald avec un soupir d’angoisse, — dans une heure mon sort sera décidé…
— Je ne te le cache pas, Gerald, tout ceci est très grave… tu connais mieux que moi le caractère et l’orgueil de cette chère fille, et ce qui, auprès de toute autre, serait une certitude de réussite, peut avoir près d’elle un effet tout contraire ; mais enfin rien n’est désespéré…
— Tiens, vois-tu… Olivier… s’il fallait renoncer à elle, — s’écria Gerald d’une voix sourde, — je ne sais ce que je ferais.
— Gerald… Gerald… — Eh bien ! oui… je l’aime comme un fou… Je n’avais jamais cru que l’amour, même le plus passionné, pût atteindre ce degré d’exaltation… Cet amour est une fièvre dévorante, une idée fixe qui m’absorbe et me brûle !… Que veux-tu que je te dise ? la passion me déborde ; je ne vis plus… et d’ailleurs, tu comprends cela, toi… tu connais… Herminie !
— Il n’est pas au monde, je le sais, une plus noble et plus belle créature…
— Olivier, — reprit Gerald en cachant sa figure dans ses mains, — je suis le plus malheureux des hommes !
— Allons, Gerald… pas de faiblesse… compte sur moi… compte aussi sur elle… Ne t’aime-t-elle pas autant que tu l’aimes ?… Voyons… ne te désole donc pas ainsi… Espère… et si malheureusement…
— Olivier… — s’écria M. de Senneterre en relevant son beau visage, où l’on voyait la trace de larmes récentes, — je t’ai dit que je ne vivrais pas… sans elle !…
Il y eut dans ces mots de Gerald un accent si sincère, une résolution si farouche, qu’Olivier trembla, car il savait l’énergie du caractère et de la volonté de son ancien frère d’armes.
— Pour Dieu ! Gerald, — lui dit-il avec émotion, — encore une fois rien n’est désespéré… Attends du moins mon retour.
— Tu as raison, — dit Gerald en passant sa main sur son front brûlant, — j’attendrai…
Olivier, voulant lâcher de ne pas laisser son ami sous l’empire de pensées pénibles, reprit :
— J’oubliais de te dire que j’ai causé avec mon oncle de ton dessein au sujet de mademoiselle de Beaumesnil, que tu dois rencontrer après-demain dans une fête ; il t’approuve fort. Cette conduite est digne de lui, m’a-t-il dit… Ainsi, Gerald, après-demain…
— Après-demain !… — s’écria le duc de Senneterre avec une impatiente amertume, — je ne pense pas si loin ; est-ce que je sais seulement ce que je ferai tantôt ?
— Gerald, il s’agit d’accomplir un devoir d’honneur.
— Ne me parle pas d’autre chose que d’Herminie… le reste m’est égal. Que me font à moi les devoirs d’honneur… quand je suis à la torture ?…
— Tu ne penses pas… ce que tu dis là, Gerald…
— Si… je le pense.
— Non…
— Olivier…
— Fâche-toi si tu veux ; mais je te dis, moi, que ta conduite, cette fois comme toujours, sera celle d’un homme de cœur… Tu iras à ce bal pour y rencontrer mademoiselle de Beaumesnil.
— Mais mordieu !… monsieur, je suis libre de mes actions, peut-être !…
— Non, Gerald, tu n’es pas libre de faire le contraire d’une chose loyale et bonne !
— Savez-vous, monsieur, — s’écria le duc de Senneterre, pâle de colère, — que ce que vous me dites là… est…
Mais voyant une expression de douloureux étonnement se peindre sur les traits d’Olivier, Gerald revint à lui-même, eut honte de son emportement, et dit à son ami d’une voix suppliante, en lui tendant la main :
— Pardon, Olivier… pardon… c’est au moment même où tu te charges pour moi de la mission la plus grave… la plus délicate… que j’ose…
— Ne vas-tu pas me faire des excuses, maintenant ? — dit Olivier en empêchant son ami de continuer et lui serrant cordialement la main.
— Olivier… — reprit Gerald avec accablement, — il faut avoir pitié de moi… je te dis que je suis fou…
L’entretien des deux amis fut interrompu par la soudaine arrivée de madame Barbançon, qui en entrant sous la tonnelle s’écria :
— Ah ! mon Dieu ! monsieur Olivier.
— Qu’y a-t-il, madame Barbançon ?
— Le commandant !
— Eh bien !…
— Il est sorti.
— Souffrant… comme il l’est… — dit Olivier avec une surprise inquiète, — c’est de la plus grande imprudence… Et vous n’avez pas tenté de le dissuader de sortir, madame Barbançon ?
— Hélas ! mon Dieu ! monsieur Olivier, je crois que le commandant est fou !
— Que dites-vous ?
— C’est la portière qui a ouvert à M. Gerald en mon ab-