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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés III (1850).djvu/164

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— Tu l’avais donc déjà revu depuis la scène de la forêt ? — ajouta Bamboche aussi surpris que moi.

— Oui… car on croirait qu’une fatalité me rapproche toujours de cette méchante petite créature… — reprit Basquine avec un ressentiment concentré. — Il y a deux ans je l’ai revu… et il y à deux ans, J’ai été, comme aujourd’hui… humiliée, outragée… jusqu’au vif… Jusqu’au sang…

— Le misérable ! — m’écriai-je ; — mais d’où lui vient cet acharnement contre toi ?

— Je n’en sais rien… — reprit Basquine.

— Oh ! vicomte… vicomte… — dit Bamboche, — toi et ton père… je vous rejoindrai… Je te vengerai, Basquine…

— Je n’ai besoin de personne… — dit fièrement la jeune fille, — je sais vouloir… et attendre.

— Et il y a deux ans… crois-tu que Scipion t’ait reconnue ? — lui dis-je.

— Non… pas plus qu’il ne m’a reconnue aujourd’hui, j’en suis certaine… L’instinct du mal et le hasard l’auront guidé… Je vous dis… qu’il y a des fatalités…

Puis, passant sa main amaigrie sur son front, Basquine reprit tendrement :

— Et toi… as-tu aussi beaucoup souffert ? Es-tu heureux à cette heure ?

— Mais j’y songe maintenant, — dit Bamboche en m’examinant avec une expression de surprise presque douloureuse, — toi… toi… une livrée !  !

— En effet… — ajouta tristement Basquine, — réduit à cela… toi ?

— Pardieu, c’est tout simple… — s’écria Bamboche avec un accent de raillerie amère, — c’est une âme d’or… il n’y a pas de condition assez misérable pour lui… c’est comme toi, Basquine… tu as été admirable pour moi et…

— Oublions cela, — dit la jeune fille en interrompant Bamboche.

— Oui… oublions cela, — reprit-il avec amertume, et il ajouta d’un ton grave dont je fus pénétré :