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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés III (1850).djvu/236

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d’entrer assez avant dans la confiance de Robert, par l’intermédiaire de la Levrasse, m’épargna la répugnante combinaison du mariage simulé ; l’idée appartenait au comte, l’exécution à Bamboche.

J’ai su plus tard la cause de la rupture de Balthazar et de Robert de Mareuil.

Celui-ci, lors de la représentation des Funambules, avait éprouvé à la vue de Basquine une impression si soudaine, si profonde, que, sans chercher à la dissimuler au poëte, il lui dit : « — J’ai maintenant un motif de plus d’épouser Régina et ses millions, je veux être l’amant de cette Basquine… Je la rendrai une des femmes les plus à la mode de Paris, dût-il m’en coûter des monceaux d’or. »

Balthazar, jusqu’alors assez aveuglé par l’amitié pour surmonter les scrupules que soulevait en lui la cupide spéculation du comte, fut révolté de ce dernier trait de cynisme, il rompit à jamais avec Robert, après de pressantes et vaines tentatives pour le ramener à des pensées plus dignes, en lui remontrant l’odieuse noirceur de sa conduite.

Néanmoins, Balthazar n’oublia pas la promesse qu’il m’avait faite au sujet de Basquine. Le lendemain du jour où la pauvre fille s’était vue si outrageusement traitée aux Funambules, par suite d’une cruelle plaisanterie du vicomte Scipion, on lisait dans l’un des journaux les plus influents de Paris, un long article sur Basquine, écrit et signé par un célèbre critique, ami intime de Balthazar. Cet article racontait d’abord avec une indignation sincère l’espèce de guet-apens dont Basquine avait été victime sur le théâtre des Funambules ; puis, arrivant à l’appréciation du talent de cette jeune fille jusqu’alors inconnue, le critique en parlait avec une admiration si chaleureuse, si persuasive, si convaincue ; il appuyait son enthousiasme sur une analyse à la fois si délicate, si savante et si profonde, du jeu et de la rare puissance de Basquine, qu’il proclama dès ce jour la plus grande tragédienne lyrique de notre temps, que cet article excita une attention, une curiosité universelles ; et la foule… mais une foule des plus choisies, se porta aux Funambules.

Le directeur, ébloui de ce succès inattendu, courut supplier à mains jointes la pauvre figurante qui n’avait pas osé reparaître au théâtre, de venir y reprendre son rôle du mauvais génie. Lorsque