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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés III (1850).djvu/244

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— Est-ce qu’il n’y a pas de place auprès de moi ?

— Pardonnez-moi, Monsieur… mais le respect… je…

Il haussa les épaules monta le premier, et me fit signe de m’asseoir à ses côtés.

Lorsque le fiacre se fut mis en marche, le docteur me dit :

— Tu as souffert, tu as lutté, tu es sincère, il y a de l’homme en toi… J’aime ça, tu te plieras à mes habitudes… et tu ne regretteras pas ton sort pendant les trois ou quatre mois que nous passerons ensemble, et après… si… tu m’as satisfait…

— Comment, Monsieur ? — lui dis-je avec surprise, en l’interrompant, — dans trois ou quatre mois ? vous me… renverrez ?

— Dans trois ou quatre mois au plus tard, et peut-être bien auparavant, — me répondit le docteur, — je serai mort…

— Vous, Monsieur ?… — m’écriai-je — et pourquoi à cette époque ?

— Pourquoi mourras-tu un jour, toi ?

— Dame… Monsieur… parce que nous sommes tous mortels… Mais comment prévoir ?…

— Avec une bonne maladie incurable… de l’expérience et du coup d’œil… on connaît son affaire sur le bout du doigt, — me répondit-il d’un air étrange, — puis il ajouta : — Voici tes fonctions : Brosser mes habits… si tu veux, je n’y tiens guère… Tenir exactement la liste des visites que je fais et que je reçois… en dresser le compte et me le présenter tous les huit jours… car moi je me fais payer tous les huit jours… sans cela je serais atrocement volé… Oui, — reprit-il avec un dédain amer, — les gens riches trouvent toujours de l’argent pour entretenir des coquines, acheter des chevaux, faire chère-lie, meubler des palais, et ils n’ont jamais le sou pour le médecin à qui ils doivent pourtant cette santé qui leur permet de caresser ces coquines, de monter ces chevaux, de faire cette chère-lie et de se gonfler d’orgueil dans leurs palais. Moi je vends la santé à ce monde-là comme d’autres vendent du drap… Qui me doit me paie… sinon en avant l’huissier.

Puis, fixant sur moi son regard pénétrant, le docteur me dit brusquement :