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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés III (1850).djvu/280

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soins, qu’il fut saisi d’une crise si violente que l’on fut obligé de le transporter chez lui.

Lorsqu’il fut couché, il me dit d’une voix éteinte, car j’avais voulu l’accompagner :

— Écris à mon fils de venir… au reçu de ta lettre… Suzon te donnera son adresse, je veux le voir encore… mon bien aimé Just…

— Comment ?… Monsieur, — m’écriai-je, effrayé de l’accent avec lequel mon maître avait prononcé ces derniers mots, — Vous craignez…

Il m’interrompit, en souriant tristement :

— Je comptais sur quelques mois, mais… les émotions vives… et depuis quelque temps… j’en ai eu beaucoup, ont, je le crois, bien avancé le terme… Écris donc… à l’instant à mon fils.

 
 

Je m’aperçus bientôt avec un douloureux étonnement que l’état du docteur Clément empirait ; ses traits s’altérèrent de plus en plus ; mais, au milieu de ses vives douleurs, sa sérénité ne l’abandonna pas ; sa seule inquiétude était de savoir si son fils arriverait assez tôt pour recevoir ses derniers embrassements.

Je croyais mon maître incapable de parler de sa fin prochaine, sans être convaincu qu’elle approchait ; pourtant je ne pouvais me résigner à admettre la réalité de ses sinistres prévisions ; la vieille servante, moins incrédule que moi, ne cachait pas sa morne tristesse. Vers le soir, le docteur eut une crise très-douloureuse, pendant laquelle il parut privé de sentiment. À cette crise succéda un calme passager ; il prit une potion dont il indiqua la préparation à sa servante, et s’assoupit.

Seul, à côté de son lit, je contemplais cette physionomie vénérable, toujours douce, paisible, quoique défaillante ; à la vue de cet homme, si puissant par le savoir et par l’intelligence, si grand par le cœur, qui s’éteignait ainsi, j’étais navré. La chambre où il gisait, bien plus pauvrement meublée que celle que j’occupais, semblait témoigner du désintéressement de cet homme, qui, après avoir gagné des millions, devait mourir dans une pauvreté sublime.