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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés III (1850).djvu/302

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du fond de ma misère et de mon obscurité, me causèrent d’abord une sorte d’enivrement… de vertige.

Régina, ayant terminé d’écrire sa lettre, me dit en me montrant un bougeoir de vermeil placé sur sa table :

— Allumez cette bougie, je vous prie… il y a sur la cheminée du papier pour cela…

Obéissant à l’ordre de la princesse, je pris à l’endroit indiqué, dans un petit cornet de porcelaine, une sorte de longue allumette de papier rose, je la présentai à la flamme du foyer et j’allumai le bougeoir.

— Merci… — me dit la princesse de sa voix douce et bonne.

Puis, tout en cachetant sa lettre et en y écrivant l’adresse, elle ajouta sans lever les yeux sur moi :

— Vous vous nommez… Martin ?

— Oui, madame la princesse.

— M. le docteur Clément, un des hommes que j’aimais et que je vénérais le plus au monde, — me dit la princesse d’une voix légèrement émue, — vous a si instamment recommandé à moi, que je vous prends à mon service en toute confiance.

— Je tâcherai de mériter les bontés de Mme la princesse, — lui dis-je en m’inclinant.

Régina, sa lettre écrite, quitta son bureau et alla s’assoir dans une bergère au coin de sa cheminée ; s’accoudant alors sur le bras de ce meuble, et voulant sans doute juger de ma physionomie, elle attacha pendant un instant sur moi un regard pénétrant quoiqu’un peu embarrassé ; ses grands yeux noirs et humides ayant ainsi rencontré les miens, je les baissai aussitôt, et malgré moi mon visage se couvrit d’une vive rougeur.

Je frémissais à la pensée que la princesse allait peut-être remarquer cette maladroite rougeur ; heureusement il n’en fut rien, je pense, car elle reprit bientôt :

Je dois vous dire d’abord à quelles conditions vous servirez ici ; vous aurez mille francs de gages, cela vous convient-il ?

— Oui, madame la princesse.

— Vous serez habillé et vous mangerez à l’office, bien entendu ;