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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés III (1850).djvu/32

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sant pas lever les yeux sur ce personnage, qui, de plus en plus étonné, me dit d’une voix impatiente et haute :

— Enfin, Monsieur, que voulez-vous ? pourquoi m’arrêter ainsi au milieu de cette promenade ?

À ces mots, prononcés d’un ton assez élevé, deux ou trois personnes se retournèrent et s’arrêtèrent pour me regarder. J’étais resté jusqu alors le chapeau à la main, le front courbé de confusion. Mais, m’apercevant que mon attitude et mon silence embarrassés, joints à l’étonnement très-naturel du personnage que je venais d’aborder, commençaient d’attirer l’attention des promeneurs, parmi lesquels j’aperçus même un des inspecteurs du jardin, je m’esquivai en disant d’une voix altérée :

— Pardonnez-moi, Monsieur… je croyais… m’adresser à une autre personne.

Je ne me décourageai pourtant pas encore. — Je ne puis non plus posséder tout d’abord l’audace et la ruse habile, nécessaires au mendiant, — me disais-je avec amertume. — Cela viendra peut-être… Essayons encore… et surtout du courage…

Je passais devant une église, j’y entrai, l’espoir dans le cœur ; celui qui prie est charitable, je devais trouver quelque âme compatissante. Une femme se préparait à sortir de l’église ; un domestique en riche livrée la suivait, portant un sac de velours armorié. Au moment où cette femme, d’une figure douce et vénérable, traversait une sorte de corridor pratiqué en dehors de la porte du temple, je m’approchai d’elle et je lui dis précipitamment :

— Madame, au nom du ciel ! ayez pitié de moi… je suis seul à Paris, sans connaissances… sans ressources… je ne demande que du travail pour gagner honnêtement ma vie.

— Êtes-vous de cette paroisse, mon ami ? — me demanda cette dame.

— Non, Madame.

— M. le curé de votre paroisse vous connaît-il ? Peut-il répondre de votre piété, de votre moralité ?

— Hélas ! Madame, je suis sans asile et n’ai pas de paroisse…

— J’en suis désolée, — répondit cette dame ; — mais comme