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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés III (1850).djvu/330

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comte Duriveau, je crus que cette réunion domestique m’offrirait peut-être l’occasion de découvrir quelque chose.

D’ailleurs, ainsi que cela arrive lorsque l’on a l’esprit tendu vers les éventualités d’un péril à la fois menaçant et inconnu, tout vous devient sujet de défiance, et l’on se livre aux suppositions les plus hasardées ; ainsi, en réfléchissant à la récente et étroite intimité de la princesse et de Madame Wilson, intimité qui semblait avoir une grande influence sur Madame de Montbar, je me demandai dans quel but Madame Wilson avait entraîné si soudainement Régina au milieu d’un tourbillon de fêtes et de plaisirs, elle qui vivait naguère dans une tristesse solitaire ; si ce changement si brusque dans ses habitudes ne favorisait pas les projets de vengeance du comte Duriveau ?

Et puis enfin, pourquoi reculerais-je devant l’aveu de certaines pensées enfouies au plus profond des replis du cœur ? malgré moi, je me sentais presque jaloux de Madame Wilson ; ses conseils avaient, sans doute, engagé Régina à s’étourdir sur ses chagrins ; et dans l’inflexible égoïsme de mon dévouement, je n’aimais pas à la voir porter si fièrement ses souffrances. Sa fiévreuse ardeur pour le plaisir était, sans doute, factice ; mais il me semblait, et mon cœur s’en navrait, que mon dévouement devenait moins utile à Mme de Montbar, du moment où elle trouvait quelque distraction au milieu des enivrements du monde. J’aurais préféré la trouver triste, abattue, comme par le passé, afin de pouvoir un jour peut-être la tirer de cette tristesse, de cet isolement, en lui rendant les affections qu’elle devait regretter amèrement.

Ces réticences, ces jalousies, ces calculs dans le dévouement, sont puérils, quelquefois indignes ; mais, hélas ! c’est l’histoire de mon cœur qu’à cette heure je me raconte avec sévérité.
 
 

Une autre raison m’engageait aussi à me rendre au thé de Mlle Juliette, malgré ma répugnance. — Il est très-possible, — m’avait dit encore le docteur Clément, — que le comte Duriveau, pour servir ses projets, ait parmi les gens de la princesse une créature à lui.

Je ne savais encore jusqu’à quel point cette crainte pouvait être