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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés III (1850).djvu/50

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immense de ceux qui se sont trouvés ou peuvent se trouver dans une position pareille à la mienne. »

Sans jouir d’une position assurée, je vivais du moins depuis quelques mois, délivré des contacts odieux, horribles, dont j’avais été souillé ; grâce à la protection de mon ami le cocher de fiacre, j’étais commissionnaire médaillé à la porte d’un hôtel garni de la rue de Provence ; chose incompréhensible et bien douloureuse pour moi, je n’avais reçu aucune réponse de Claude Gérard, à qui j’avais fréquemment écrit ; la veuve de M. de Saint-Étienne avait aussi gardé le silence ; j’attendais avec impatience le retour de la belle saison, espérant trouver de l’occupation comme charpentier. Mon métier de commissionnaire me plaisait médiocrement ; il avait un côté de domesticité dont je me sentais souvent blessé… Pourtant, bien des années de ma vie devaient se passer dans la domesticité… Cette contradiction s’expliquera bientôt.

La seule compensation (et, je l’avoue, elle était assez grande) de cette servilité, consistait, pour moi, dans un certain plaisir d’observation, faculté très-développée en moi, depuis que j’avais impérieusement senti le besoin de m’isoler dans mes pensées, dans mes réflexions, dans mes souvenirs, afin d’échapper aux hideuses réalités dont j’étais souvent entouré.

De la réflexion à l’observation, la pente est rapide, et lorsqu à ce besoin d’observation se joint surtout un vif sentiment de curiosité… non pas de curiosité puérile, basse, mais je dirais presque de — curiosité philosophique, — si ce mot n’était pas ridicule sous ma plume, on comprendra que je trouvai, dans ma condition de commissionnaire, un vaste champ ouvert à mes études.

Cette fois encore, j’avais pu expérimenter la vérité de cette assertion de Claude Gérard, que : « — dans toutes les conditions de la vie, l’instruction était moralement et matériellement avantageuse ; » — les commissionnaires, sachant lire et écrire, étant fort rares, j’eus naturellement la préférence sur mes confrères dans plusieurs circonstances, préférence enviée qu’il me fallut d’abord soutenir à la force du poignet contre mes rivaux illettrés ; heureusement J’étais agile et robuste ; je n’eus pas de désavantage dans ces luttes ! Ma position