Page:Sue - Les misères des enfants trouvés II (1850).djvu/100

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tous côtés sur les tréteaux, largesse d’autant plus spontanée que cette scène, uniquement destinée à attirer le public dans l’intérieur de notre établissement, se passait en plein vent, était considérée comme gratuite, et ne devait être suivie d’aucune quête.

Aussitôt après cette munificence populaire, des cris forcenés de bis retentirent avec furie.

Toujours à demi caché sous les toiles, je m’étais rapproché de Basquine, joyeux et fier de la complimenter ; car ce qui m’attriste à cette heure, me ravissait alors.

— J’espère qu’en voilà un triomphe ! — dis-je tout bas à Basquine, en soulevant la toile.

— Ne m’en parle pas, — me répondit l’enfant, tout animée, toute rayonnante, la joue en feu, le regard étincelant, — j’en suis folle… comme c’est amusant !…

À ce moment les cris de bis retentirent avec plus de force.

Basquine, dont l’exaltation était alors un peu calmée, fit un imperceptible mouvement d’épaules, et, me montrant le public d’un regard moqueur, me dit d’une voix encore palpitante de l’émotion du triomphe :

— Vois-tu, le pingoin[1], comme il s’allume… ça n’est rien… À la reprise je vas l’incendier.

— Et moi… je t’étrangle… si tu fais bis… Je ne veux plus que le pitre te touche et te regarde comme il l’a fait, — murmura derrière moi une voix sourde et courroucée.

Je me retournai.

C’était Bamboche, pâle, la figure bouleversée par la colère et par la jalousie.

— Mon Dieu !… ce n’est pas ma faute… c’est dans le rôle, — dit Basquine toute tremblante, en se retournant vers la toile qui cachait Bamboche.

Bis ! bis !… la scène de Paillasse et de Basquine ! — criait la foule impatiente.

— Je te défends de faire bis, — reprit Bamboche, en soulevant

  1. Le public s’appelle le pingoin en argot acrobatique. Il y a le pingoin maigre (public peu nombreux), le pingoin gras (le public nombreux).