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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés II (1850).djvu/106

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— Vite, vite, mes enfants, nous dit-elle cordialement, — nous n’avons que le temps de préparer notre entrée pour la pyramide humaine… dont tu vas être l’obélisque, mon petit ange, — dit gaiement la mère Major à Basquine, en lui prenant le menton et la baisant au front.

Cette caresse hypocrite me fit trembler…

Évidemment le danger que je redoutais pour Basquine, mais que j’avais cru lointain, était proche… mais quel était ce danger ?

— Et ce farceur de Bamboche, où est-il ? — ajouta doucement la mère Major, — il va nous faire manquer notre entrée…

— Bamboche !… — criai-je.

— Me voilà… me voilà ! — dit mon compagnon en accourant.

Bamboche et moi devions aussi concourir à la pyramide humaine ; nous étions vêtus selon la plus pure tradition des saltimbanques : maillot saumon couvrant tout le corps ; caleçon rouge, bouffant et pailleté ; brodequins rouges garnis de peau de chat.

— Allons, Basquine… haut la crampe, — dit la mère Major en tendant son dos et en appuyant ses mains sur ses genoux.

En une seconde Basquine eut légèrement grimpé le long de la monstrueuse échine qu’on lui présentait, puis atteignant les épaules, véritable plateforme, l’enfant s’y tint debout, les bras croisés, un pied de çà, l’autre de là. La mère Major nous prit ensuite, Bamboche et moi, par la main.

Un pan de la tente se releva, et nous entrâmes ainsi dans le petit cirque où se donnaient nos représentations.

Bientôt je m’aperçus que la mère Major, qui me tenait par la main, tremblait par moments comme si elle eût ressenti une émotion violente et concentrée. Mes craintes pour Basquine redoublèrent, je levai rapidement les yeux sur la mégère ; son énorme poitrine palpita si puissamment deux ou trois fois sous sa peau de panthère, que ce mouvement se communiquant à ses épaules, seul point d’appui des pieds de Basquine, l’enfant fut obligée de faire un ou deux mouvements presque imperceptibles afin de rétablir et de conserver son parfait équilibre.