Page:Sue - Les misères des enfants trouvés II (1850).djvu/140

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Seulement nous nous cachâmes d’abord soigneusement les uns aux autres ces heureux et salutaires sentiments, car, hélas ! nous étions déjà assez corrompus pour éprouver la honte du bien.

Les circonstances de la seconde soirée passée dans l’île sont au nombre de mes souvenirs les plus présents.

Nous avions activement et joyeusement travaillé tout le jour à sarcler nos pommes de terre et nos racines, déjà envahies par les mauvaises herbes ; nous avions ramassé du bois mort pour notre feu, et, en ma qualité d’ancien maçon, j’avais rajusté quelques tuiles de la toiture, tandis que Bamboche et Basquine faisaient la cueillette des fruits ; tel avait été pour nous le charme de ces travaux, que nous ne nous étions pas reposés deux heures.

Après avoir gaiement soupé de pommes de terre cuites sous la cendre et de fruits savoureux, nous étions, Basquine, Bamboche et moi, couchés sur la pelouse qui s’étendait devant la masure.

Depuis quelque temps le soleil avait disparu ; la soirée était d’une tiédeur charmante, et quoiqu’il n’y eût pas encore de lune, les étoiles scintillaient assez pour éclairer faiblement l’obscurité de la nuit… il ne faisait pas le plus léger souffle de vent ; l’air était si pur, si calme, si sonore, que, parmi les bouillonnements de la source qui ruisselait entre les rochers, nous distinguions mille bruits divers… tantôt murmurants et voilés comme une plainte, tantôt clairs, argentins, comme le timbre d’une cloche de cristal.

Contre notre habitude, nous restions silencieux et rêveurs.

— Comme c’est joli… le bruit de cette source !… — dit soudain Basquine.

— Oui, — répondit Bamboche ; — c’est à quoi je pensais… ça vaut mieux que la musique qui accompagnait nos exercices.

— Oh ! c’est bien vrai… — dis-je avec un soupir.

Et tous trois, nous redevînmes silencieux.

Bientôt le chant de je ne sais quel oiseau… chant plaintif, monotone, mais d’une douceur infinie, s’éleva au loin, à plusieurs reprises… assez espacées…

Puis l’oiseau se tut…