Je vis que Régina mourait d’envie de mettre son offrande dans la main de Basquine ; mais elle n’osait pas…
— Ils ne s’en iront pas, — reprit impétueusement la gouvernante en s’adressant à nous ; — on n’a pas d’idée d’une opiniâtreté pareille ! Voyons… ramassez vos sous, prenez ou ne prenez pas ces restes… mais laissez-nous, sinon je vous avertis que s’il vient quelque garde nous vous ferons arrêter…
À ce moment retentit un violent coup de tonnerre.
Presque en même temps Bamboche, pâle de rage, s’écria en s’avançant vers la gouvernante, le regard terrible :
— Ah ! c’est comme ça… eh bien ! nous ne voulons pas de votre aumône… entendez-vous ! Nous ne voulons pas de vos restes, où ces gamins-là ont bavé, entendez-vous !…
Bamboche était effrayant, et je l’avoue, son indignation me gagnait ; tant de mépris, tant de dureté dans l’aumône me révoltait autant que lui ; et puis, faut-il le dire ? je ressentais déjà vaguement une haine jalouse contre Robert, qui, au premier mot menaçant de Bamboche, s’était approché de Régina, comme pour la protéger.
Basquine semblait douloureusement humiliée ; elle me dit à voix basse, avec un accent de haine, et les yeux remplis de larmes d’indignation :
— Oh !… ces petits riches !
La gouvernante, un moment épouvantée, car la forêt était solitaire et nos physionomies peu rassurantes, s’était calmée, en pensant qu’elle n’avait affaire, après tout, qu’à des enfants ; aussi, reprit-elle avec autant de mépris que de courroux :
— A-t-on vu de pareils petits va-nu-pieds, recevoir avec une telle insolence l’aumône qu’on daigne leur faire !…
Bamboche, après sa première explosion de colère, était resté un instant silencieux, jetant autour de lui des regards sombres, comme s’il eût médité quelque projet sinistre.
Soudain, avec l’agilité d’un chat sauvage, s’élançant à l’improviste sur la gouvernante, il la saisit au cou et me cria :
— Martin… empoigne les deux gamins… Basquine, tiens bien la petite.