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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés II (1850).djvu/172

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Mais réfléchissant et abandonnant soudain Robert, Bamboche le repoussa en disant :

— Bah… toi… je te laisse… Tu m’as l’air plus bête que méchant… mais M. le vicomte… M. Scipion, vraie graine de mauvais riche, va venir avec nous… Toi, Martin… prends la petite… tu n’as pas de femme… elle est gentille… tu lui as fait l’œil… Je te la donne… empoigne-la !

— Oui… c’est ça… — s’écria Basquine, comme nous animée par le vin, et ne cachant pas une sorte de joie farouche. — Empoigne-la… cette petite riche… Martin !… on m’a bien arrachée à mon père… moi… tant pis !

— Allons… vite ! — dit Bamboche en prenant d’une main ses pistolets, et traînant après lui Scipion qui se débattait en poussant des cris perçants.

— Allons, en route à travers la forêt… la voiture peut revenir. Martin, prends ta femme et filons… Toi, si tu cries, si tu bouges, je te brûle, — ajouta-t-1l en posant un de ses pistolets sur le front de Scipion.

La tête exaltée par le vin que j’avais bu, la raison troublée par la beauté de Régina qui m’avait tant frappé, je courus à elle, et quoiqu’elle se cramponnât aux vêtements de la gouvernante en appelant au secours, je l’enlaçai brutalement dans mes bras : elle était si légère, que, malgré sa résistance désespérée, je l’emportai facilement.

— Passe devant, Basquine, — dit Bamboche, — et fraye-nous passage dans le fourré… Avant dix minutes il fera nuit… on aura perdu nos traces.

Aux débats convulsifs de Régina succéda une sorte de lassitude et de brisement, comme si les forces de cette malheureuse enfant eussent été à bout ; je la sentis s’alanguir entre mes bras, et sa tête, retombant sur mon épaule, sa joue glacée toucha la mienne.

Nous avions alors déjà marché quelque temps au milieu du fourré ; épouvanté, malgré moi je m’écriai :

—— Bamboche… la petite se trouve mal.

— Allons donc, — dit Bamboche avec un éclat de rire féroce et