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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés II (1850).djvu/195

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mes yeux humides d’attendrissement ; pouvais-je ne pas être touché de l’ineffable indulgence, de la bonté paternelle avec laquelle cet homme me traitait, moi complice d’une méchante action qui pouvait avoir pour lui de si funestes résultats ; puis enfin, à sa voix, s’étaient de nouveau réveillés ces remords salutaires dont mes compagnons et moi avions déjà plusieurs fois subi l’influence, aussi peut-être, sans mon aveugle affection pour Basquine et pour Bamboche, aurais-je accepté la généreuse proposition de Claude Gérard ; mais, m’arrachant de ses bras, je m’élançai vers la fenêtre.

Pourtant au moment de mettre le pied dehors, j’hésitai une seconde à quitter l’asile tutélaire qui m’était offert.

Mon cœur se serra cruellement, il me sembla que je renonçais à tout jamais au bien ; mais le souvenir de mes amis d’enfance l’emporta et je sautai par la fenêtre.

Je courus d’abord quelques pas devant moi, puis songeant à tout ce qu’il y aurait d’ingratitude à m’éloigner sans dire un mot de reconnaissance à Claude Gérard, je m’arrêtai… et je me retournai.

À la clarté de la lune je vis l’instituteur assis sur l’appui de la fenêtre ; il me suivait d’un regard plein de tristesse.

— Adieu, Monsieur, — lui dis-je, le cœur gonflé, — je vous remercie toujours d’avoir été si bon pour moi, et de ne m’avoir pas fait arrêter…

— Je ne puis me résigner à te dire adieu, mon pauvre cher enfant, — me répondit l’instituteur d’une voix touchante, — laisse-moi espérer que tu reviendras. Il est impossible que tu restes insensible à ce que je t’ai dit… à ce que je t’ai offert… ou alors… — ajouta-t-il avec une tristesse navrante, — c’est qu’il n’y a plus rien à espérer de toi… Que ton sort s’accomplisse.

— Je crois que je ne reviendrai pas, Monsieur, — lui dis-je en secouant la tête, — c’est un adieu… pour toujours… allez…

Et je m’éloignai rapidement dans la direction de la grande route où nous nous étions donné rendez-vous en cas de poursuite.

L’habitude d’une vie vagabonde m’avait donné une grande mémoire des lieux ; aussi, je retrouvai assez facilement mon chemin à travers un dédale de sentiers qui coupaient les champs…