Page:Sue - Les misères des enfants trouvés II (1850).djvu/230

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s’était couvert, refroidi ; la neige tomba bientôt abondamment : force fut donc de fermer la porte de cette étable encombrée de bestiaux et d’enfants. Il y fit alors presque nuit.

Blotti dans un coin, j’assistai avec une vive curiosité à la première leçon que je voyais donner, Les rustiques écoliers de l’instituteur, au lieu d’être bruyants, tapageurs, indociles, et de ne voir, pour la plupart, dans les heures d’école, qu’un travail ennuyeux ou indifférent, étaient calmes, soumis, attentifs ; ils me parurent, si cela se peut dire, non-seulement s’intéresser, mais se plaire, s’amuser aux enseignements de Claude Gérard et avoir pour lui une affection presque filiale.

Je compris plus tard, en l’expérimentant moi-même, comment, à l’aide d’un procédé d’enseignement à la fois ingénieux et simple, où se combinaient la curiosité, l’amour-propre et l’esprit d’imitation (ces trois leviers tout-puissants sur l’enfance), Claude Gérard parvenait à des résultats aussi prompts que satisfaisants. Toujours bon, calme, indulgent, patient, pénétré de la sainteté du sacerdoce qu’il exerçait, et surtout guidé, soutenu, encouragé par son amour profond pour les enfants, il étudiait leurs caractères, leurs instincts, leurs passions, et savait presque toujours faire tourner au bien ces différents essors naturels qui, comprimés, faussés, mal dirigés, fussent devenus des vices et des passions mauvaises.

La leçon durait depuis une demi-heure environ, lorsque la chaleur de l’étable et l’odeur du fumier, encore augmentées par cette agglomération d’enfants, devinrent si suffocantes, si délétères, que je ressentis, ainsi que plusieurs écoliers, des nausées, une sorte d’étouffement, accompagnés de violents maux de tête, et la sueur ruissela de mon front.

Il fallut enfin ouvrir la porte de l’étable dont l’atmosphère n’était plus respirable. Un courant d’air vif et froid succédant brusquement à une température étouffante, je frissonnais, la sueur se glaçait sur mon front. Au bout de quelques instants, l’on referma la porte : mais alors, ainsi que ces pauvres enfants, presque tous misérablement vêtus, je grelottais transi. J’appris plus tard par Claude Gérard que ces soudaines alternatives de chaud et de froid,