Page:Sue - Les misères des enfants trouvés II (1850).djvu/236

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printemps, je me proposais d’y transplanter quelques fleurs rustiques, dans le fol espoir que, si Régina revenait jamais, elle trouverait du moins ce tombeau entretenu avec un soin dont elle serait touchée et dont elle ignorerait toujours la source.

Je voyais enfin je ne sais quelle étrange coïncidence entre l’apparition inattendue de Régina, et la bonne résolution que j’avais prise de revenir au bien. Cet incident singulier était pour moi une sorte de consécration de cette pensée : que toutes mes bonnes tendances me rapprochaient de Régina.

M’en rapprochaient ?… non… ce n’est pas le mot, car je ne pouvais espérer de la revoir, bien moins encore de jamais l’approcher… Mais il me semblait, tout en reconnaissant l’extravagance de cette passion enfantine et sans issue, que plus je deviendrais honnête homme, plus j’aurais, pour ainsi dire, le droit de songer à Régina, pensée douce et amère, secret sacré que je me promettais d’ensevelir pour toujours au plus profond de mon cœur.

Maintenant, mûri par les années, je m’expliquerais à peine comment ces idées bizarres, je dirais presque d’une sensibilité raffinée, avaient pu naître chez un enfant de mon âge ; mais je les comprends, en faisant la part de cette précocité de sensations que l’exemple des amours de Basquine et de Bamboche avait éveillée et développée en moi.

En m’abandonnant à ces réflexions, je m’acheminais lentement vers le cimetière.

La brise, redoublant de violence, avait chassé une partie des nuages qui jusqu’alors obscurcissaient la lune ; elle brilla bientôt d’un vif éclat ; la neige cessa de tomber ; mais elle couvrait tout le champ du repos comme un vaste linceul.

Le silence, profond, solennel, était seulement interrompu par les sifflements aigus du vent du nord à travers quelques arbres verts.

Je n’avais jamais été poltron ; d’ailleurs ma vie vagabonde m’avait depuis longtemps familiarisé avec toutes sortes d’incidents nocturnes ; la neige couvrait la terre à une telle épaisseur, que je ne m’entendais pas pour ainsi dire marcher.