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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés II (1850).djvu/243

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fosse si indignement profanée ; quant à toi, mon enfant, reste ici… réchauffe-toi dans l’étable, tu es transide froid… À mon retour nous souperons…

Claude Gérard partit ; je n’eus pas le courage de l’accompagner ; je me sentais brisé par la fatigue et par les émotions de cette journée.

Dès que l’instituteur fut éloigné, ma première pensée fut de mettre à l’abri dans un endroit secret le portefeuille que j’avais dérobé. Ayant longtemps cherché les moyens de cacher sûrement mon larcin, je découvris d’abord, sous une des mangeoires de l’étable, un pot de grès fêlé, pareil à ceux dont on se sert dans ce pays pour conserver le lait ; le portefeuille, quoique assez épais, pouvait parfaitement tenir dans ce vase ; je l’y déposai avec soin ; puis je creusai un trou assez profond sous la mangeoire, tout auprès du mur de l’étable ; après avoir bouché l’orifice du pot avec du foin, je le cachai dans ce trou que je remplis de terre bien battue.

Cette opération terminée, je m’assis sur un banc, et cédant à la fatigue, je ne tardai pas à m endormir d’un sommeil fiévreux, troublé par des rêves bizarres, incohérents ; dans l’un de ces songes, ayant sans doute l’imagination frappée de ce que m’avait dit Claude Gérard au sujet des personnes plongées dans une profonde léthargie et enterrées toutes vivantes, il me sembla voir la mère de Régina sortir de son cercueil, belle, brillante, parée ; puis me regardant avec une ineffable douceur, elle me faisait signe de la suivre.

Au milieu de ce rêve, je fus éveillé en sursaut par Claude Gérard qui me secouait le bras ; j’ouvris les yeux ; sa blouse était couverte de neige… il tenait d’une main une lanterne, de l’autre une houe. Sa figure était d’une grande pâleur, ses traits me parurent bouleversés…

— Le misérable s’est échappé, — me dit-il en déposant sa lanterne sur une table. — Ton coup l’aura seulement étourdi.

— Qui cela ? — lui dis-je avec stupeur.

— Le cul-de-jatte.

— Il n’est pas mort ! — m’écriai-je.

— En te quittant, — me dit Claude Gérard, — je suis allé chez