Page:Sue - Les misères des enfants trouvés II (1850).djvu/248

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M’abandonnant alors à mes souvenirs, je pensais qu’à cette même place, une année auparavant, j’avais, pour la première fois, revu Régina… depuis son enlèvement dans la forêt de Chantilly.

Soudain, un bruit de chevaux de poste et de voiture, d’abord lointain, se rapprocha de plus en plus ; un secret pressentiment me fit tressaillir, j’éprouvai au cœur une violente commotion…

Bientôt la voiture s’arrêta ; quelques secondes après, je vis Régina s’avancer, vêtue de noir comme elle l’était l’année précédente.

La vieille servante lui donnait la main, le mulâtre à sombre figure suivait à quelques pas en arrière.

Je restai un moment immobile, à la fois charmé, ravi et cependant frappé de stupeur ; mais voyant Régina s’approcher, je me sauvai aussi épouvanté que si je m’étais rendu coupable de quelque mauvaise action ; je franchis d’un bond l’entourage du jardin et je m’élançai à travers champs non sans entendre pourtant une exclamation de surprise et de joie que la vue des fleurs qu’elle s’attendait si peu à trouver sur la tombe de sa mère, arracha sans doute à Régina.

J’arrivai en hâte chez Claude Gérard.

— Mon ami ! m’écriai-je en entrant (il avait désiré que je l’appelasse ainsi), — mon ami, si l’on vient demander qui a soigné la tombe de cette pauvre jeune dame, je vous en supplie, ne dites pas que c’est moi.

Mon inquiétude, mon effroi, mon désir d’échapper à la reconnaissance légitime que méritaient mes soins désintéressés étonnèrent vivement Claude Gérard ; il devina que je ne lui disais pas tout… Depuis un an, son influence sur moi avait beaucoup augmenté ; aussi, pressé de questions, je n’eus pas la force de lui taire mon secret, c’est-à-dire mon amour enfantin pour Régina.

Je cachai pourtant à Claude Gérard le vol du portefeuille et de la petite croix ; la honte m’empêcha toujours de lui faire cet aveu.

Je m’attendais à voir mon maître irrité contre moi ; il n’en fut rien ; seulement il me dit :

— Dans quelques années, mon enfant, je te rappellerai la confidence que tu viens de me faire ; jusque-là continue d’entretenir cette