Page:Sue - Les misères des enfants trouvés II (1850).djvu/26

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encore informe et à l’état d’ébauche ; mais si les bateleurs, très-experts n ces sortes de transfigurations, avaient la moindre intelligence, ils devaient féconder mon idée et la rendre des plus fructueuses.

« Je m’endormis au milieu de ces singulières élucubrations ; au point du jour, les mariniers m’éveillèrent. Après avoir fait mes adieux à ces braves gens, Je les quittai, emportant ce qui me restait de poissons… Mes idées de la veille, à propos de mes projets de concurrence contre l’ogre, au lieu de me sembler folles et absurdes, me parurent parfaitement pratiques, raisonnables, possibles.

« Surmontant ma timidité, je me dirigeai vers les espèces de voitures nomades qui servaient de logis aux saltimbanques, voisins de l’ogre.

« Jugez de ma joie, de mon enivrement, mon cher Martin. Au bout d’une heure de conversation avec le père Boulingrin, artiste-alcide et professeur de pugilat, ainsi qu’il s’intitulait, je le vis adopter mes projets avec enthousiasme.

« Après m’avoir vu manger une carpe et un barbillon crus, l’estimable acrobate me proposa cet engagement fabuleux :

« Vingt-cinq sous par jour.

« Nourri et logé.

« Entretenu de nageoires.

« Huit jours après, pendant lesquels le père Boulingrin me fit ingénieusement confectionner des nageoires, on inaugurait à la porte de notre entourage de toile un magnifique tableau, où j’étais représenté le corps sortant à demi d’un vaste étang, les nageoires déployées et tenant entre mes dents un poisson d’une figure fantastique. Au bas du tableau, on lisait cette pompeuse annonce, à laquelle j’avais concouru pour la partie scientifique, géographique et historique :