Page:Sue - Les misères des enfants trouvés II (1850).djvu/263

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Durant ces années passées auprès d’un homme rempli de savoir, doué des plus rares qualités, philosophe pratique s’il en fut, mon intelligence se développa ; mon esprit se cultiva ; mon caractère acquit une trempe vigoureuse, et j’appris enfin une profession manuelle, celle de charpentier, qui pouvait m’être une ressource contre les mauvais jours.

Ces résultats ne furent pas soudains : souvent j’eus à lutter contre d’amers, de profonds découragements causés par la vie pauvre, rude, sans avenir, à laquelle je me trouvais enchaîné ; j’eus à subir des accès de tristesse désespérée en songeant à mes deux compagnons d’enfance dont j’avais continué d’ignorer absolument le sort et que, de souvenir, j’aimais aussi tendrement que le jour même de notre séparation.

J’eus à contenir enfin des ressentiments pleins de violence contre les indignes ennemis de Claude Gérard ; car jamais son admirable résignation ne s’était lassée, jamais son calme, à la fois digne et stoïque, ne s’était démenti, tandis que l’animadversion de ses persécuteurs, au lieu de s’apaiser, s’était exaspérée jusqu’à la rage. Aussi, après une résistance sublime d’humilité, d’abnégation, de renoncement… il dut succomber, car, chose étrange, c’est à force de soumission aveugle aux plus brutales exigences, aux plus criantes injustices de ses ennemis, que Claude Gérard trouva longtemps le moyen de les réduire à l’impuissance, qu’il parvint à conserver l’humble condition qu’il occupait dans ce village.

Mais vint enfin le jour du triomphe de l’ennemi le plus acharné, le plus infatigable de Claude Gérard : c’est nommer le curé de la commune.

Ce prêtre indigne, après des intrigues, des calomnies, des manœuvres infâmes, parvint à jeter la défiance et la froideur entre l’instituteur et les pauvres gens qu’il s’était depuis si longtemps affectionnés ; puis ce but, si opiniâtrement poursuivi depuis des années, une fois atteint, il fut facile alors d’arriver à forcer Claude Gérard à abandonner la commune.