Page:Sue - Les misères des enfants trouvés II (1850).djvu/265

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

terrompant, — je te rappelle le point dont tu es parti, et le chemin que tu as parcouru jusqu’à ce jour… non pour me glorifier du bien que je t’ai fait, mais afin que ce dernier regard jeté sur ta vie passée te donne la force d’envisager tranquillement l’avenir. Depuis le moment où je t’ai recueilli, j’ai suivi ta vie pas à pas, jour par jour ; témoin de ces luttes, de ces épreuves dont tu es sorti à ton honneur, j’ai pu reconnaitre ce qu’il y a en toi de bon, de généreux et d’énergique persistance à suivre la bonne voie. Courage donc, mon enfant… Accepter, ainsi que tu l’as fait, une vie laborieuse, rude, sans joies, sans plaisir, et seulement éclairée un jour par année par la brillante apparition d’une jeune fille que tu dois toujours aimer sans espoir… n’oublie jamais cela ; enfin cette vie de renoncement, d’abnégation, la supporter sans amertume, sans révolte contre le sort, c’est beau, c’est bien, mon enfant…

— Hélas ! mon ami… dans cette voie rude et pénible… si les forces me manquaient parfois, vous étiez là… quelques mots de vous me donnaient un nouveau courage. Mais, à cette heure, mon cœur se brise en songeant qu’il faut vous quitter pour longtemps… pour toujours peut-être.

— Pour toujours… non, non, mon enfant. On est parvenu à me chasser de cette commune… après une lutte de dix années ; mais enfin… dans la commune où je vais me rendre, je ne rencontrerai pas, Je l’espère, les mêmes haines… Eh bien ! l’an prochain peut-être la personne chez laquelle tu te rends à Paris, t’accordera-t-elle un congé de quelques jours… Alors, pauvre enfant, nous aurons une grande joie… nous qui en avons eu si peu…

— Ah ! mon ami, si vous l’aviez voulu… je ne vous aurais pas quitté… j’aurais continué de partager vos travaux.

— Non, non, mon enfant… cet avenir ne saurait être le tien… une position inespérée s’offre à toi… ne pas l’accepter serait insensé ; tu n’auras jamais de protecteur plus bienveillant que M. de Saint-Étienne. Il a cru contracter envers moi une grande dette de reconnaissance, parce qu’il y a deux ans j’ai sauvé son château du pillage.

— Et sa vie, peut-être… et cela au péril de la vôtre, mon ami…