Page:Sue - Les misères des enfants trouvés II (1850).djvu/271

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nisme railleur que j’étais loin de m’attendre à trouver chez lui. — Après tout, — reprit-il, — vous avez dû faire de Martin un solide garçon ; il y avait de l’étoffe : vous n’avez eu qu’à tailler en plein dans cette brave et loyale nature, car Martin ne mordait au mal que du bout des dents, et non pas comme moi, à pleins crocs… Seulement, quoiqu’il y mordit peu et n’y mangeât guère, le pauvre garçon n’osait pas en dégoûter les autres.

— Pauvre Bamboche ! — dis-je à Claude Gérard.

— Comme toi, — me répondit-il, — ces mots de Bamboche m’ont touché, — Mais vous, lui dis-je, — vous qui croyez au bien, et qui pouvez même l’admirer, comment ne le pratiquez-vous pas ?

— Et que vous a-t-il répondu, mon ami ?

— Voyez-vous, mon digne Monsieur, — a repris Bamboche, — je crois à une belle statue de marbre, à l’attitude fière, à la figure douce et grave, comme doit l’être maintenant celle de Martin ; je l’admire, cette belle statue, qui, malgré pluie et vent, orage et tempête, reste immobile et sereine sur son piédestal… Oui, je trouve cela superbe… foi de Bamboche, c’est un spectacle que j’aime… Seulement, comme je suis de chair et non de marbre, je n’essaye pas de me faire statue… et je me dis : Va, roule ta bosse dans l’ouragan… mon vieux, — ajouta-t-il en terminant par cette plaisanterie grossière.

— Malgré cette dernière grossièreté, la première image était grande ! — m’écriai-je ; — quel développement a donc pris l’esprit de Bamboche !…

— Oui, — me dit gravement Claude Gérard, — cette image est grande, mais elle est fausse. L’homme fort, quoique fait de chair, peut devenir de marbre pour résister à l’ouragan des mauvaises passions. Néanmoins, je fus frappé comme toi de ce singulier langage, tour à tour trivial, cynique et élevé… Comme toi je me demandais à quelle école cet enfant perdu pouvait avoir acquis ces raffinements de pensée qui çà et là se remarquaient dans son langage…

Mais Bamboche, après un moment de silence, reprit d’une voix émue :

— Allons, adieu, Monsieur ; peut-être vaut-il mieux pour Martin que je ne le voie pas… je m’entends. Embrassez-le donc pour moi…