Page:Sue - Les misères des enfants trouvés II (1850).djvu/335

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Vous voyez bien, Messieurs, que j’ai des effets à attendre…

— C’est bien, Monsieur le comte, — dit un des deux hommes, — vos effets seront transportés dans le fiacre… Allons, avance, ajouta cet homme en me faisant signe de le suivre.

Nous traversâmes la foule ameutée, où j’entendis prononcer les mots de prison, de déguisement, de trahison.

Un fiacre attendait sur le quai ; le voyageur à lunettes y monta ; ses effets furent placés à côté de lui, et l’un des deux hommes, avant d’entrer dans la voiture, dit au cocher :

— En marche… et bon train.

Après avoir refermé la portière, et malgré la surprise où me jetait ce nouvel incident, je dis à un de ces personnages :

— C’est moi, Messieurs, qui ai apporté les effets.

— Allons donc… du bateau ici, — dit un des deux hommes, — belle course… Est-ce que ça se paye ?

— M. le comte n’a pas de monnaie, — ajouta l’autre homme d’un air sardonique, en jetant les yeux sur le voyageur, qui, la figure cachée dans ses mains, semblait anéanti.

— Mais, Messieurs… — m’écriai-je.

— Marche, cocher, — cria un de ces hommes par la portière.

Le cocher fouetta vigoureusement ses chevaux ; je fus obligé de me jeter de côté pour n’être pas écrasé sous les roues.

Ce désappointement fut affreux pour moi !

Dans ma colère désespérée, je montrai le poing au fiacre qui s’éloignait, en m’écriant :

— Vous me volez mon pain… et je meurs de faim…

— Viens déjeuner… — me dit tout bas une voix à l’oreille.

Je me retournai brusquement.

C’était le cul-de-jatte…

— Je le regardais avec une surprise mêlée de terreur.

— Eh bien, oui !… viens déjeuner… — reprit-il ; — tu es un