Aller au contenu

Page:Sue - Les misères des enfants trouvés II (1850).djvu/37

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fraternelle sollicitude, et, de temps à autre, il semblait possédé d’une joie délirante en songeant que bientôt nous allions retrouver Jeannette.

La Levrasse décida que nous ferions une première station au bourg voisin ; là devait se trouver un chirurgien qui mettrait un nouvel appareil sur mes blessures. Nous devions de plus rencontrer dans cet endroit plusieurs jeunes filles qui, prévenues à l’avance, attendaient le passage de la Levrasse pour lui vendre leurs chevelures qu’il achetait et levait toujours lui-même sur pied, ainsi qu’il disait en parlant de ces moissons capillaires.

Le lendemain de cette journée, nous devions arriver dans le village où demeurait le charron, père de Jeannette, la nouvelle Basquine de la troupe.

Je n’oublierai jamais le singulier et triste spectacle auquel j’assistai dans le bourg de Folleville, où nous nous arrêtâmes pour faire panser ma blessure. La fracture était simple, dit le chirurgien ; le premier appareil avait été assez habilement posé par la mère Major, ma guérison devait marcher rapidement. La population du bourg étant nombreuse, et ayant été affriandée par le premier passage de l’homme-poisson, la Levrasse consentit à donner ce qu’il appelait une petite représentation ; elle se composa de l’exhibition du phénomène, précédée de quelques tours de force exécutés par la mère Major et par Bamboche. Pour s’épargner les embarras de monter notre théâtre de toile, la Levrasse décida que la représentation aurait lieu dans une grange, et que la mère Major veillerait à la recette pendant qu’il irait récolter les chevelures.

Ma blessure m’empêchait de paraître et d’assister aux exercices. Le chirurgien m’avait pansé dans une salle basse de l’auberge ; là, pour la première fois, je vis la Levrasse pratiquer l’un de ses étranges commerces.

Assis sur une chaise, je tenais mon bras en écharpe, lorsque je vis entrer dix ou douze femmes, presque toutes jeunes ; deux ou trois étaient assez jolies, mais la pauvreté sordide de leurs haillons annonçait le plus grand dénûment ; leurs visages exprimaient la tristesse