Page:Sue - Les misères des enfants trouvés II (1850).djvu/45

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reuses… — dit amèrement la Levrasse en se dégageant de l’étreinte de la jeune fille, qui l’empêchait de faire jouer ses ciseaux. Vous oubliez donc que le pain est cher…

Hélas ! cette fois encore, la misère paralysa les meilleurs instincts ; cette fois encore, la voix impérieuse du besoin couvrit et fit taire un premier cri de générosité parti de l’âme.

Les dures paroles de la Levrasse rappelèrent à ces pauvres créatures qu’elles étaient trop infortunées pour pouvoir se montrer compatissantes… N’est-ce pas la pire des infortunes que celle-là ?

Un morne silence vint succéder à l’élan généreux des compagnes de Joséphine ; celle-ci, qui s’était peut-être laissée aller à un moment d’espérance, dit vivement à la Levrasse :

— Dépêchez-vous, Monsieur, dépêchez-vous.

La Levrasse ne se fit pas répéter cette recommandation ; il plongea soudain et fit jouer ses ciseaux dans cette magnifique chevelure qui, tombant de tous côtés, laissa bientôt voir la douce et pâle figure de Joséphine inondée de pleurs et complétement rasée.

La Levrasse, fidèle à sa promesse, remit à la jeune fille une longue tresse, grosse à peine comme le petit doigt… Joséphine la roula et la plaça dans son sein.

 

Alors il me fut impossible de retenir mes larmes, et depuis ce jour, j’ai gardé bien présent le souvenir de cette scène douloureuse.

 

Sans doute, les gens positifs prendront tout ceci en profond dédain et diront en raillant :

Mon Dieu !… que voilà de phrases pour quelques poignées de cheveux ! Qu’est-ce que ça nous fait à nous que ces paysannes soient tondues comme des enfants de chœur ? C’est vingt sous de plus dans leur poche…

Mais vous aurez pitié de cette autre conséquence de la misère… (Elle en a tant… de conséquences… la misère !…) Oui, vous en aurez pitié,… vous, jeunes femmes, qui, souriant devant votre miroir, vous plaisez à orner de fleurs et de pierreries votre belle che-