Page:Sue - Les misères des enfants trouvés II (1850).djvu/58

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Et, pour un instant, la faim fut oubliée pour la contemplation des éblouissants atours de Jeannette.

Mon maître, alors, comme dernier moyen de séduction, sans doute, tira de sa poche un sac d’argent et abandonna un instant la main de Jeannette.

L’enfant courut aussitôt près du grabat de son père, y monta, et, toute heureuse, toute souriante, se pencha vers lui, baisa son visage livide et froid en lui disant :

— Papa… vois donc… comme je suis belle… vois donc !

Le charron ne répondit pas… Ses yeux demeurèrent fixes et demi-clos ; il agita faiblement les bras, et ses lèvres balbutièrent quelques mots sans suite.

— Papa dort… et il rêve, — se dit l’enfant en s’asseyant avec circonspection au bord du lit de son père ; puis, attendant sans doute son réveil, elle se mit, tout en chantonnant, à jouer avec la couronne qu’elle ôta de sa tête, et dont le feuillage argenté, mêlé de roses, semblait surtout exciter son admiration.

Jamais, non, jamais je n’oublierai l’impression profonde, étrange, que, malgré mon âge, me causa la vue de cette enfant charmante, vêtue de rose et de paillettes, assise dans cette sombre demeure sur un misérable grabat, auprès de ce père presque moribond.

Pendant ce temps-là, mon maître, tenant son sac d’argent par le fond, et s’approchant de la femme du charron, avait fait pleuvoir sur les lambeaux de couvertures qui couvraient ses genoux, une assez grande quantité de pièces de cent sous… trois cents francs, je crois…

Puis, tirant de sa poche un papier tout préparé, et une de ces écritoires de corne dont se servent les écoliers, il y trempa une plume de fer, la présenta à la femme du charron ainsi que le papier, et lui dit :

— Signez cela, ma chère dame… Ce bon souper est à vos enfants, cet argent est à vous… le sort de la petite Jeannette est assuré… sans compter que…

Un grand cri du charron interrompit mon maître.