Profondément ému d’un langage si nouveau pour moi, enthousiasmé de la foi et de l’espérance que Basquine semblait avoir dans la toute-puissance providentielle de cette sainte Mère du bon Dieu, cette douce et tendre patronne des mères et des pauvres petits enfants, je dis à Basquine en toute sincérité :
— Et la bonne sainte Vierge a récompensé ton père, n’est-ce pas ?
— Oh ! non… — me dit naïvement l’enfant, en secouant avec tristesse sa jolie petite tête bouclée et faisant un grand soupir, — oh ! non… jamais…
Et me rappelant ce que mon émotion m’avait fait oublier, le douloureux tableau dont j’avais été témoin chez le charron, lors de l’enlèvement de son enfant, je repris :
— C’est vrai ; ton père n’a pas été récompensé de son courage par la bonne sainte Vierge… Mais alors à quoi donc ça sert, de la prier ?
— Dame ! moi, je ne sais pas… Maman nous disait de prier avec elle pour que nous soyons moins malheureux et que papa soit récompensé… Nous priions… comme disait maman.
Une détestable pensée me vint à l’esprit : je me souvins de l’horrible mort du père de Bamboche… Celui-là aussi avait travaillé avec une ardeur infatigable… Celui-là aussi avait tendrement aimé son enfant… Et pourtant celui-là aussi était mort, abandonné de la bonne sainte Vierge et des hommes… Enfin l’homme-poisson, après avoir assidûment travaillé pendant son enfance et sa première jeunesse, avait voulu échapper, — me disait-il, — à la misère et à la faim en se donnant la mort.
Bamboche, le disciple du cul-de-jatte, avait donc raison de répéter sans cesse :
— Ceux qui travaillent sont des imbéciles ; ils crèvent de faim ou de misère.
Le naïf récit de Basquine, la scène douloureuse dont j’avais été témoin dans la demeure de son père, donnaient malheureusement, à mes yeux, un nouveau poids aux désolantes maximes de Bamboche.