Page:Sue - Les misères des enfants trouvés II (1850).djvu/79

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nir ; nuit et jour tu étais là… j’en suis sûr… ça me faisait du bien… ça me rassurait… car, je ne sais pas pourquoi, je me figurais que la mère Major voulait m’empoisonner.

Puis s’interrompant soudain :

— Et Basquine ?… qui est-ce qui en a donc pris soin ?

— Moi…

— Toi !… mais tu étais toujours auprès de moi ?

— Pas toujours… quand tu étais plus tranquille, et c’était la nuit surtout… j’allais veiller Basquine.

— Elle… aussi, — s’écria Bamboche avec un nouvel élan de reconnaissance ; — puis, après un moment de silence, il ajouta d’une voix grave, sincère, presque solennelle :

— Vois-tu, Martin ?… tu as le droit de me dire de me mettre au feu pour toi… j’irai…

Puis il répéta, avec une nouvelle expression de profonde gratitude :

— Elle… aussi…

Mais soudain sa pâle figure pâlit encore, son regard s’assombrit, devint farouche et je remarquai le tressaillement nerveux de l’angle de sa mâchoire, symptôme certain, chez lui, d’une émotion vindicative ; il retira brusquement sa main que Je tenais dans les miennes… puis, tâchant de lire jusqu’au plus profond de mon cœur, en attachant sur moi ses grands yeux gris encore étincelants du feu de la fièvre, il me dit d’une voix sourde :

— Tu es donc resté bien des nuits auprès d’elle ?

— Oui… — lui répondis-je naïvement, quoique très-surpris de ce brusque changement dans sa physionomie… — Oui, je suis resté près d’elle toutes les nuits et tous les moments que je ne passais pas auprès de toi…

— Et tu restais seul avec elle ? — me dit-il d’une voix de plus en concentrée.

— Tout seul ; la mère Major était toujours avec Poireau ; l’homme-poisson venait quelquefois aussi veiller Basquine, mais pas souvent, car il était si fatigué de faire la cuisine et le ménage, qu’il se couchait tout de suite.