Page:Sue - Les misères des enfants trouvés II (1850).djvu/92

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— C’est vrai, — répondit Basquine en essuyant ses larmes, — et pourtant ça m’a fait peur… C’est la première fois que cela m’arrive.

Puis elle ajouta d’un ton craintif :

— Mais n’en dis rien à Bamboche… il me battrait pour me punir d’être peureuse… et il serait ensuite à se martyriser, ce qui me fait tant de peine.

Bamboche, mettant en effet à exécution les ignobles principes du cul-de-Jatte sur l’art de se faire aimer, battait quelquefois Basquine : puis, aussitôt après, par une étrange idée de compensation, il se causait à lui-même une douleur physique dix fois plus vive que celle dont Basquine avait souffert, et lui disait, en endurant cette torture avec un courage héroïque :

— Je t’ai battue pour te montrer que je suis ton maître, mais non par amour de te faire du mal, puisque je m’en fais à moi-même dix fois plus qu’à toi.

Entre autres preuves à l’appui de ce raisonnement insensé, dont il ne démordait pas, j’ai vu Bamboche se planter froidement, à une profondeur de cinq à six lignes, une épingle entre l’ongle et la chair… Malgré le ressentiment d’une douleur atroce, sa physionomie ne trahissait pas la moindre souffrance, et il disait avec une exaltation de tendresse sauvage :

— Je t’ai battue, Basquine, mais je t’adore.

Et Basquine, se jetant à son cou, lui demandait pour ainsi dire pardon d’avoir été battue.

Malheureusement, l’influence de Bamboche sur Basquine ne se bornait pas à lui faire oublier, par cette espèce de stoïcisme farouche, les brutalités auxquelles il se laissait quelquefois emporter contre elle. Le venin des mauvais exemples est si subtil, se communique, se propage avec une si effrayante rapidité, que la contagion des exécrables principes du cul-de-jatte, le mendiant vagabond, avait déjà infecté trois victimes… d’abord Bamboche, puis moi, et ensuite Basquine.

À force d’entendre répéter par Bamboche que les gens laborieux et honnêtes étaient les sots martyrs de leurs labeurs et de leur honnêteté (Bamboche n’avait pas manqué de citer à Basquine l’exemple