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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés IV (1850).djvu/18

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— Et de plus, — poursuivit Madame Lambert, — ruiner complétement le ménage qui est encore plus avare qu’hypocrite, et qui a plus de trois cent mille livres de rentes.

— Dis donc comment ?

— Il fallait pour que le ménage dont je vous parle héritât d’un oncle immensément riche, que la femme eût un enfant. Voyant qu’elle ne pouvait pas parvenir à être grosse, elle est convenue, d’accord avec son mari, de simuler une grossesse. Il a bien fallu que ma maîtresse, car, après tout, c’est de moi que je parle, il a bien fallu que ma maîtresse me mit dans la confidence, moi, sa femme de chambre. Je me suis occupé de trouver une femme grosse, je l’ai logée dans une maison isolée. Ça se passait à la campagne ; ma maîtresse a feint d’être en mal d’enfant dès que l’autre femme a été sur le point d’accoucher ; et c’est moi qui ai reçu l’enfant… un beau garçon, ma foi… Je l’ai apporté dans un carton à chapeau, et quand une bête de sage-femme de campagne, qu’on est allé exprès chercher trop tard, est arrivée, elle a trouvé un gros poupon criant comme un brûlé pour téter la nourrice dont on s’était précautionné.

— En voilà des roués ! — dit Leporello.

— Eh bien ! — reprit Madame Lambert, — vous me croirez si vous voulez, on m’a renvoyée de la maison pour cause… de moralité, parce qu’on avait surpris le cocher dans ma chambre ; ça m’a outrée… J’ai menacé ma maîtresse ; je lui ai dit que je pouvais parler sur bien des choses… Savez-vous ce qu’elle m’a répondu ?

— Quoi donc ?

Parlez si vous voulez, ma chère… les complices sont autant punis que les coupables.

— La coquine ! — dit Astarté.

— Et ça ne quitte pas les églises ! — reprit Juliette.

— Elle avait raison, — reprit Mme Lambert ; — je la perdrais et moi aussi. Après cela je me fais plus méchante que je n’en ai l’air ; j’aurais pu me venger sans me perdre, que je ne l’aurais pas fait… Mais à propos, — reprit la femme de chambre de la marquise d’Hervieux en s’adressant à Juliette — tu m’avais dit que tu savais quelque chose qui ferait plaisir à ma maîtresse.

— Elle le sait peut-être déjà ; mais enfin voilà ce que c’est : le Prince part cette nuit pour Fontainebleau ; il va chasser cinq ou six jours avec le mari de ta maîtresse.

— Cet homme-là est-il sournois ! — s’écria Mme Lambert. — On