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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés IV (1850).djvu/30

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pus d’autant moins me dispenser de l’aborder, qu’elle me reconnut et me dit :

— Ah ! Monsieur Martin, bien le bonjour ; je ne m’attendais pas à vous rencontrer si tôt, et surtout de si matin…

— En effet, Madame, il est à peine neuf heures.

— C’est ce qui me désole, car il faudra que j’aille au diable vert pour trouver un fiacre ; dans cette saison ils n’arrivent sur place que fort tard, et Monsieur en attend un avec une impatience de damné.

— Comment ! lui qui a tant de chevaux, il sort en fiacre ? et c’est vous qu’il envoie chercher une voiture, tandis qu’il a tant de domestiques ?

— Je ne suis pas non plus la seule à le chercher ; ce maudit fiacre ! le maître d’hôtel et le valet de chambre sont à la recherche de leur côté. Dame… c’est qu’un fiacre, dans notre quartier à cette heure, et le lendemain d’un dimanche encore, c’est aussi rare qu’un merle blanc.

— Si votre maître est si pressé, que ne fait-il atteler une de ses voitures ?

— Il a ses raisons, sans doute, pour préférer un fiacre… il y a quelque chose là-dessous… Balard m’a dit qu’une lettre sur gros papier, pareille à la lettre d’hier soir, vous savez…

— Parfaitement ; c’était très-drôle… cette grosse lettre cachetée avec du pain mâché, et qui a rendu votre maître si content.

— Eh bien ! il en est arrivé une autre toute pareille, ce matin à huit heures, avec recommandation au commissionnaire d’éveiller tout de suite Monsieur ; alors carillon d’enfer, et ordre de lui trouver un fiacre à tout prix… sans compter que Balard m’a dit que la joie d’hier continuait ce matin… en augmentant, si c’est possible.

Une idée qui me donna presque le vertige, me traversa l’esprit.

Mon émotion fut si visible, que la femme de charge me dit :

— Qu’avez-vous donc, Monsieur Martin ?

Ces mots me rappelèrent à moi ; je répondis à cette femme qui répétait avec une surprise croissante :

— Mais, qu’avez-vous donc ?

— Mon Dieu ! Madame Gabrielle, je réfléchis qu’au lieu de vous faire perdre là votre temps, je peux vous épargner une corvée. J’ai passé tout à l’heure sur le quai Voltaire, j’ai vu deux ou trois fiacres sur la place… je vais y courir et en amener un pour vous à la porte de l’hôtel Duriveau.