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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés IV (1850).djvu/300

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ainsi à l’association les moyens, les instruments de travail, j’apporte à moi seul autant que vous tous ensemble ; loyalement j’aurais donc le droit de prélever pour moi seul la moitié de nos bénéfices… mais, à ce droit, à cette inégalité, je renonce au nom du sentiment de fraternité, qui me rapproche de vous ; je ne demande dans les produits de notre association qu’une seule part… égale à celle de chacun de vous… et, cette part, je veux la gagner comme vous par mon travail, en appliquant toutes les forces de mon intelligence à la bonne administration de nos affaires. J’ai vécu pendant quarante ans dans une oisiveté funeste et stérile ; j’ai beaucoup à me faire pardonner ; aussi du jour de notre association, nul plus que moi, je vous l’assure, n’aura plus de zèle, plus de respect pour l’intérêt commun. »

— C’est admirable ! — s’écria Just.

— Un tel renoncement, — dit Régina avec émotion, — un tel hommage à la dignité, à la fraternité du travail… est d’un magnifique enseignement.

— Et la promesse que cet homme a faite, — dit Claude, — il devait la tenir religieusement.

— Et l’association… a dû se constituer aussitôt, — dit Just.

— Non, — dit Claude ; — quoiqu’elle offrit à ces pauvres gens des avantages inouïs, il a fallu vaincre des défiances, des préjugés, malheureusement inséparables de l’ignorance et de l’espèce d’asservissement dans lesquels vivaient ces malheureux « Que risquez-vous ? — leur disait cet homme de bien que vous admirez, Monsieur Just, — essayez… Je me charge du premier établissement ; de plus, j’assurerai votre existence pendant deux années ; vous quitterez vos tristes et homicides demeures pour des logements sains, riants, commodes ; vos travaux écrasants, infructueux, seront rendus productifs et attrayants par leur variété, Essayez, vous dis-je, de cette association. Que risquez-vous ? Les parcelles de terre que vous joindrez à celles que je mets en commun vous reviendront dans deux années. Si votre condition ne vous paraît pas améliorée, vous pourrez alors retourner habiter vos masures qui restent debout… »

— Et ils n’ont pas résisté longtemps à l’évidence de ces avantages ? — dit Just.

— Près de deux mois, — répondit Claude Gérard.

— C’est incroyable ! en présence d’avantages si évidents, — dit Régina.