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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés IV (1850).djvu/98

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si hideuse, si féroce, que, dans mon épouvante, augmentée du délire de mon imagination, je suis resté pétrifié… fasciné devant cette effroyable vision… puis ma raison s’est réveillée…

Cette figure livide, qui m’épouvantait… c’était la mienne.

Expliquer maintenant comment un éclair de raison a suffi pour illuminer l’abîme où j’allais tomber et m’en montrer l’horreur… expliquer par quel phénomène j’ai brusquement reculé devant l’assouvissement des plus exécrables passions, en les voyant éclater sur mon visage, en traits hideux ; en voyant pour ainsi dire écrite sur ma face l’infamie de l’acte que j’allais commettre… expliquer enfin comment ce dicton vulgaire : — si vous vous voyiez… vous vous feriez peur, — a décidé de mon sort et de celui de Régina dans ce moment suprême… Expliquer tout cela m’est impossible… car à cette heure encore, cette révolution subite dans mes esprits est inexplicable pour moi.

Ce dont je me souviens seulement, c’est qu’à ma sauvage audace succéda une si grande terreur d’être surpris là par Régina, que, presque défaillant, j’eus à peine la force de quitter la chambre, de refermer doucement la porte et de gagner le parloir, où je tombai sans connaissance.

 

Quand je revins à moi… les premières lueurs du soleil, si matinal en cette saison, empourpraient la cime des grands arbres du jardin ; il devait être trois heures du matin…

Le plus profond silence régnait toujours dans l’appartement.

Je me suis hâté d’en sortir, j’ai ouvert et refermé doucement la porte extérieure ; tout dormait encore dans la maison. J’ai regagné ma chambre sans bruit et sans rencontre ; une fois chez moi, je me suis jeté sur mon lit en fondant en larmes.

 

L’épreuve a été terrible, mais décisive…

Tout ce qu’il y avait d’impur, de coupable dans mon amour pour Régina, a disparu pendant cette nuit fatale.

L’ardeur de ces bouillonnements impétueux a dégagé l’or de ses scories.. À jamais enfoui dans mon cœur, ce divin amour y restera désormais inaltérable et pur.

 

Lorsque j’ai servi, le matin, le thé de Régine, elle m’a dit :

— Martin, vous n’avez pas entendu du bruit cette nuit dans l’hôtel ?