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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés I (1850).djvu/228

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Le braconnier semblait si indifférent au danger dont il était menacé, que Martin, le regardant avec stupeur, s’écria :

— On vient vous arrêter, et vous restez là, Claude ?…

Bête-Puante, sans lui répondre, prit Martin par le bras, le conduisit hors des ruines du fournil, où tous deux s’étaient retirés, lui fit faire quelques pas sur la jetée, et, d’un geste, lui montra au loin, sur la rive opposée de l’étang, à la clarté de la lune, plusieurs gendarmes s’avançant au galop de leurs chevaux, suivant une route qui conduisait directement à la métairie.

— Les gendarmes !… — s’écria Martin. — Fuyez, Claude, fuyez.

— J’ai de trop graves choses à te dire.

— Mais, avant dix minutes, ces soldats seront ici !

Bête-Puante fit un signe de tête négatif.

— Qui les arrêtera ? — demanda Martin.

— L’écluse… Écoute…

En effet, Martin, prêtant l’oreille, entendit au milieu du profond silence de la nuit le bouillonnement lointain d’une forte chute d’eau.

— Vous avez donc levé le merrin, Claude ?

— Oui… depuis une heure… lorsque, en me rendant ici, j’ai vu ces cavaliers paraître à la corne de l’étang… car, d’après leur route, ils ne pouvaient venir qu’ici… Et ici, ils ne pouvaient venir chercher que moi.

— Alors, vous avez raison, mon ami, la levée est submergée, les cavaliers seront obligés de rebrousser chemin.

— Et une fois engagés au milieu des marais et des tourbières qui bordent l’étang de notre côté, ils mettront plus d’une heure avant de nous joindre, et, dans une heure, je serai hors de leur atteinte. Maintenant… écoute-moi…

— Je vous écoute… Claude.

— Il y a quelques mois, dit Bête-Puante, j’ai été instruit du secret de ta naissance… tu étais en pays étranger ; je t’ai écrit… tu es revenu en France… Je t’ai dit l’atroce conduite de Duriveau envers ta mère… qu’il avait rendue folle de désespoir… en te faisant enlever à elle pour t’abandonner tout enfant à la vie la plus misérable… Je t’ai dit comment, après m’avoir impitoyablement frappé au cœur… moi qui ne lui avais jamais fait de mal… Duriveau, mon mauvais génie… m’a une seconde fois outrageusement frappé dans mon honneur…

— Je le sais… tout cela a été infâme, Claude… bien infâme…