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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés I (1850).djvu/235

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— Il faudrait dire des monstruosités… mais la comparaison est fausse ; il s’agit de monstruosités morales ; et avoir pitié de ce qui est indigne d’intérêt, c’est faire preuve d’une criminelle tolérance.

— Et moi, je vous dis, Claude, qu’un malheureux enfant qui, élevé dans une atmosphère viciée, se flétrit et se corrompt, mérite pitié ; oui, une commisération sincère, et qu’il serait barbare, insensé, de lui faire un crime de la maladie qui le tue…

— Il s’agit de ton frère, intéressant enfant, il est vrai… soit, et de ton père, personnage attendrissant ?

— Comme son fils, il a été élevé dans un milieu perverti… et pourtant, vous le savez, il a eu vers le bien de généreuses aspirations… passagères sans doute, mais enfin, je l’avoue, inconnues à son fils…

— Assez ! — dit brusquement le braconnier ; — le temps presse… ton dernier mot ?

— Je vais vous le dire : — Claude, acceptez ma comparaison. Voici un être atteint d’une maladie terrible, contagieuse, qu’il a sucée avec le lait… Un homme vient et dit : À mort, ce misérable… la vue de son supplice opérera sur ceux qui son atteints de la même maladie une révolution à la fois si terrible, si salutaire, que, redoutant un sort pareil, la réaction de leur épouvante… les guérira.

— Eh bien ! soit… on agit ainsi avec les fous furieux… et avec succès… on prend un des leurs… et en présence de tous on le châtie d’une façon terrible… l’épouvante fait alors jaillir un éclair de raison de leur cerveau stupide, et ils rentrent dans le devoir ; mais il s’agit ici d’un homme qui a toute sa raison, et qui l’applique au mal avec une exécrable intelligence.

Au moment où le braconnier prononçait ces paroles, l’ombre de deux personnes qui, marchant courbées, semblaient se diriger vers les ruines du fournil, se projeta sur la berge de l’étang, alors vivement éclairé par la lune.

Martin et Bête-Puante, trop préoccupés, ne s’aperçurent pas de cet incident, et leur entretien continua.