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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés I (1850).djvu/240

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— Un dernier mot, Claude… mon illusion, respectez-la… pendant un mois, à partir de ce jour…

— Que veux-tu dire ?

— Promettez-moi de ne rien tenter contre le comte pendant ce mois…

— Et ensuite ? Et si tu tes abusé, pauvre et noble cœur ? Et si cette maladie que tu crois guérir est incurable ? Et si cet homme persiste fatalement dans le mal, que feras-tu ? car, enfin, si j’admets ta supposition… admets les miennes !

La figure de Martin, jusqu’alors calme, douce et triste, devint sombre, sinistre, et, après quelques moments de réflexion, il reprit :

— Cela est juste, Claude… je dois admettre aussi vos suppositions… j’ai aussi quelquefois pensé, je vous l’avoue, pensé… avec terreur, que le mal a d’effrayantes fatalités.

— Et dans ces heures désespérées — dit le braconnier avec une satisfaction farouche — quel était ton projet ?… Oui, en songeant à tout ce que Duriveau a fait souffrir à la mère… à la détestable influence de cet homme, que ni la foi jurée, ni les instances si puissantes… à toi, son fils, ne pourraient ébranler… tu as dû pourtant…

— Claude, — dit Martin en interrompant le braconnier d’une voix solennelle, — jurez-moi de ne rien tenter contre M. Duriveau pendant un mois… et au bout de ce mois…

— En avant, gendarmes ! — s’écria tout à coup une voix retentissante.

Et, plus prompt que la parole, Beaucadet, embusqué depuis quelques instants avec cinq gendarmes derrière les ruines du fournil, où il s’était glissé, se précipita sur Bête-Puante, tandis que les autres soldats se jetèrent sur Martin, qui, stupéfait de cette brusque attaque, ne fit aucune résistance.

Il n’en fut pas de même du braconnier : une lutte vigoureuse, opiniâtre, s’engagea entre lui et ses adversaires, qui parvinrent à grand peine à le terrasser et à lui mettre les menottes.

— Ah ! je disais bien, vermine malfaisante, — dit Beaucadet, triomphant, — que tôt ou tard je te pincerais… j’avais envoyé des hommes à cheval par la jetée de l’étang, mais j’étais venu à pied par les landes ; ainsi une fois l’écluse lâchée, tu t’es cru en sûreté ? hein brigand ?

Le braconnier ne répondit pas.

S’adressant alors à Martin :