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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés I (1850).djvu/286

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tu marcheras sur les mains la tête en bas et les pieds en l’air, comme si tu t’étais toujours promené ainsi la canne à la main depuis ta naissance…

— Ce qui économisera ta chaussure, vu que tu ne portes pas de gants, petit Martin, — ajouta sentencieusement la Levrasse.

Je ne comprenais pas ce que l’on voulait faire de moi. Il me parut seulement que l’on ne me tuerait pas, puisque l’on parlait de certains exercices auxquels je devais me livrer dans deux mois. Je me rassurai un peu : d’ailleurs la mère Major, malgré sa grosse voix, sa moustache, sa carrure énorme, sa brusquerie et son martinet, m’inspirait peut-être encore moins d’effroi que le saltimbanque, et heureusement c’était celle qui devait se charger de mon éducation.

— Allons, mon fils, — dit la mère Major, — venez baiser maman ; soyons gentil ; à demain ta première leçon ; aujourd’hui je te donne congé pour que tu aies Le temps de faire connaissance avec Bamboche, un gamin de ton âge. Dans quelques jours vous aurez du sexe… oui, gredins, une petite fille de votre âge ; c’est alors que vous ferez de fameuses parties… brigands.

Après quoi la mère Major me fit signe de la suivre, s’arrêta devant un escalier voûté qui descendait sans doute à la cave, et cria :

— Bamboche, monte ici… je te fais grâce en réjouissance du petit-nouveau… vous pourrez vous amuser aujourd’hui dans la cour… mais demain nous cramperons, et roide… Ah çà, monteras-tu, Bamboche ?

L’enfant ne montait pas.

— Allons, reste au frais, si ça t’amuse… Et toi, tu joueras tout seul, petit Martin… mais défie-toi de Bamboche… il est méchant et sournois en diable… Ah ! mais j’oubliais… pour t’encourager, faut que je te montre les beaux habits que tu auras si tu travailles bien ; viens ici.

Et la mère Major me conduisit dans une chambre, où se trouvait une énorme malle qu’elle ouvrit, et dont elle tira une vieille veste turque en velours rouge râpé, semé de paillettes ternies.

— Endosse-moi ça, petit Martin ; bien, vois comme t’es beau !

La veste, deux fois trop longue pour ma taille, me faisait une redingote : malgré mes angoisses, j’avoue que ce vêtement me parut splendide, éblouissant, et que, malgré mes frayeurs, l’espérance de porter quelque jour un si magnifique vêtement me causa une certaine satisfaction.