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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés I (1850).djvu/314

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bien souvent apparaître les deux compagnons de ma première enfance…

Bamboche, le fils du bûcheron, cet enfant abandonné qui, après avoir vu mourir son père sans secours, au fond des bois, est repoussé avec un si cruel mépris, lorsque, pour la première fois, il demande à un homme riche du travail et du pain.

Cet enfant tombé d’abord entre les mains d’un abominable vagabond, qui lui enseigne la ruse et la fourberie, puis jeté par les hasards du dénûment entre les mains de saltimbanques qui, par leur dépravation et leurs brutalités, lui enseignent le vice et la haine.

Basquine… la fille d’un malheureux artisan qui, poussé à bout par une misère affreuse, est sur le point de vendre cette enfant à des bateleurs… qui se préparent à exploiter d’une façon infâme cet innocent trésor de beauté, de grâce et de candeur.

Quel que soit l’avenir de ces deux créatures, Sire, avant de porter sur elles un jugement inexorable… veuillez vous souvenir de ce qu’a été leur enfance… et le blâme fera peut-être place à la pitié… à la plus profonde, à la plus douloureuse pitié…

Et ce ne sont pas là des exceptions, Sire : parmi tous ceux qui tombent fatalement dans des abîmes sans fond, de perversité, d’infamie, il en est bien peu… bien peu qui n’eussent pas été honnêtes et bons, si leur vie n’avait pas commencé dans l’abandon, dans la misère, ou dans un milieu corrompu et corrupteur.

La Levrasse et la mère Major craignant sans doute que je n’essayasse de m’évader, me surveillaient de très-près ; ces précautions étaient inutiles…

— Oui, nous serons amis, bien amis, et pour toujours, — m’avait dit Bamboche, ensuite de notre première entrevue, commencée par une rixe et terminée par une cordiale étreinte.

Autant que moi, Bamboche se montra fidèle à cette promesse d’affection réciproque. Par un singulier contraste, cet enfant d’un caractère indomptable, d’une perversité précoce, d’une méchanceté sournoise et quelquefois même d’une froide férocité, me témoigna dès lors l’attachement le plus tendre, le plus dévoué. Je l’avoue, sans la réalisation de cette amitié fraternelle si longtemps rêvée par moi, sans l’attachement qui me lia bien vite et étroitement à mon compagnon d’infortune, j’aurais tâché de me soustraire par la fuite au cruel apprentissage de mon nouveau métier.

Tout le temps qui n’était pas employé à mes leçons, je le passais