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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés I (1850).djvu/80

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d’égoïstes, — cette race abrutie accepte son misérable sort sans se plaindre ; souvent même elle se roule dans sa fange avec une joie, avec une sensualité grossière. Voyez ces prolétaires des campagnes : ils se contentent d’une insalubre et détestable nourriture, tandis que, chaque jour, ils récoltent, ils élèvent, ils engraissent, ils préparent sans envie les éléments de l’alimentation la plus saine, la plus succulente, la plus recherchée ! À quoi bon éveiller chez ces malheureux-là des besoins, des appétits qu’ils n’ont pas ? Voyez-les : à peine rassasiés, hommes, femmes et enfants se jettent pêle-mêle sur la même litière. Qu’importent les faits de promiscuité sauvage qui se passent souvent dans ces tanières ! La nuit est complaisante, ses ténèbres cachent tout ce qui doit être caché. Cette race vit ainsi depuis des siècles ; elle est patiente, elle est accoutumée au servage, elle ne demande rien, elle se résigne, elle travaille, elle souffre en paix ; ne soyez donc pas plus de son parti qu’elle n’en est elle-même. Ces gens-là, tout malheureux que vous les dites, rient, chantent, font l’amour à leur manière. N’espérez donc pas apitoyer sur leur sort. »

Et nous répondons :

C’est justement parce que ces races déshéritées n’ont souvent pas conscience de ce qu’il y a de grossier, de sauvage, d’abrutissant dans la vie animale où elles sont obligées de vivre, qu’au nom de la dignité, de la fraternité humaines, nous demandons pour elles une éducation qui leur donne la conscience et l’horreur de cette déplorable existence.

Une éducation qui, leur donnant aussi la mesure de leur force, la connaissance de leurs droits, la religion de leurs devoirs, permette à ces classes déshéritées de réclamer et d’obtenir une part légitime des biens, des produits, qu’elles concourent à mettre en valeur, part qui doit être équitablement proportionnée à la fatigue, au labeur, à l’intelligence du travailleur.

« — Mais, diront encore les optimistes et les repus, qui, las des plaisirs de l’hiver, choisissent en gens sensés le printemps et l’été pour leurs pérégrinations champêtres, — que vient-on nous parler de tanières humides, et insalubres, de landes solitaires et incultes, de marais pestilentiels ? Voici la métairie du Grand-Genévrier, par exemple… Eh bien ! c’est tout bonnement… ravissant… Cabat ou Dupré ferait de cela un délicieux tableau. »

Et, en effet, au printemps les bruyères incultes se couvrent de