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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés I (1850).djvu/90

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gente emplumée y était déjà symétriquement étagée par rang de taille ; les plus petits du troupeau, entrant les premiers, allaient, selon l’habitude que leur avait donnée Bruyère, se percher au plus haut de trois perches de bois rustiques disposées en retraite, les unes au-dessus des autres. L’instinct observateur et l’intelligence de la jeune fille devinant l’inconcevable éducabilité dont sont doués tous les animaux, elle avait, dans son humble sphère, à force de patience et de douceur, accompli des prodiges.

Tout au faîte du hangar, et dominant le perchoir, était, si cela se peut dire, le nid de la jeune fille.

Toute petite, Bruyère, par un sentiment de pudeur précoce et de dignité de soi, un des traits les plus saillants de son caractère, avait invinciblement répugné à partager la litière commune où, dans cette métairie comme dans toutes les autres, filles et garçons de ferme couchent pêle-mêle au fond de quelque écurie, sans distinction d’âge ni de sexe ; Bruyère avait obtenu du métayer la permission de se construire, au-dessus du perchoir, et attenant à la charpente, comme un nid d’hirondelles, un petit réduit auquel elle arrivait en grimpant les degrés du perchoir avec l’agilité d’un chat. L’enfant trouvait du moins dans cette espèce de nid, tapissé de mousse et de fougères bien sèches, mêlées d’herbes aromatiques, un coucher sain et l’isolement convenable à son âge et à son sexe. Bientôt aussi elle eut dans son troupeau des gardiens vigilants, car la burlesque aventure de Beaucadet n’avait pas été la seule de ce genre. L’année precédente, un garçon de ferme, dans l’audace de son brutal amour, ayant voulu pénétrer la nuit dans le réduit de Bruyère, la gente emplumée poussa de tels gloussements, s’abattit de tous les coins du perchoir avec une telle furie sur le téméraire amoureux, qu’il se hâta de fuir, étourdi par ce vacarme, effrayé par ces attaques imprévues.

Bruyère, sa tâche de chaque soir accomplie, ferma la porte du perchoir, plaça soigneusement dans un coin un petit panier recouvert de feuilles fraîches qu’elle tenait à la main, et sortit de la cour de la ferme afin de donner audience aux personnes qui venaient la consulter ; celles-ci l’attendaient au dehors des bâtiments, assises sur un tronc d’arbre renversé, non loin de l’énorme genévrier qui donnait son nom à la métairie.

Que l’on ne s’étonne pas d’entendre l’humble gardeuse de dindons parler, dans l’entretien suivant, un langage témoignant une certaine