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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés I (1850).djvu/99

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— Oh ! avec ça ils seraient fumés… fumés comme de la terre à maraîcher.

— Et alors, bon père, en une année, ces huit arpents-là, en vous coûtant bien moins de frais, bien moins de peine, vous rapporteraient quatre fois plus que vos quarante arpents ne vous rapportent à cette heure, surtout si, après leur avoir demandé une année de froment, vous leur demandiez l’année d’ensuite des pommes de terre… l’autre année un seigle… l’autre année un trèfle, et après le trèfle un nouveau froment… allant toujours ainsi d’une culture à l’autre en alternant… car, vous voyez, bon père, ce qui épuise la pauvre nourricière… ce n’est pas de toujours produire… Elle ne demande qu’à donner… ce qui l’épuise, c’est de toujours produire la même chose ; vous n’employez ainsi qu’une de ses fécondités… et elle en a mille. Croyez-moi donc, votre grange sera pleine avec huit arpents bien cultivés ; elle sera presque vide avec quarante arpents mal cultivés.

— Et mes autres trente-deux arpents ? — dit le vieillard d’un air pensif.

— Les moins mauvais… mettez-les en sainfoins ; vous y nourrirez quelque bétail, le bétail vous donnera l’engrais, et sans l’engrais pas de grain.

— Et ma plus mauvaise terre ?

— Semez-y des sapins… cet arbre de notre pauvre Sologne… c’est l’arbre du bon Dieu ; son bois sert à bâtir les maisons, sa feuille chauffe le four, sa pomme flambe au foyer, sa sève coule en résine ; les pires terres sont bonnes pour lui ; il croît sans soins ni peines, et, à six ans, il rapporte déjà par son dépressage.

Ces conseils si simples mais si sages, basés qu’ils étaient sur l’étude et sur l’expérimentation des diverses aptitudes du sol, étaient trop clairs, trop logiques, trop pratiques surtout, pour ne pas frapper vivement l’esprit du vieillard ; mais la coutume, cette terrible fatalité des mœurs agricoles, luttait violemment contre les bons instincts du vieillard qui lui disaient de se rendre aux avis de Bruyère ; celle-ci, devinant la cause de cette hésitation, appela maître Chouart et lui dit :

— Maître Chouart ? l’an passé, quel conseil vous ai-je donné ?

— Ah ! chère fille ! — s’écria le métayer, — un conseil charmé ! c’est le cas de le dire ! Je cultivais beaucoup de terre, à grands frais et mal, vous m’avez dit : cultivez peu et bien. Cette année j’ai deux