Page:Sue - Les mystères de Paris, 1ère série, 1842.djvu/98

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— Des remords ? Non, puisque j’ai fait mon temps — dit le sauvage ; — mais autrement il ne se passait presque pas de nuit où je ne visse, en manière de cauchemar, le sergent et les soldats que j’ai chourinés, c’est-à-dire… ils n’étaient pas seuls — ajouta le brigand avec une sorte de terreur ; — ils étaient des dizaines, des centaines, des milliers à attendre leur tour dans une espèce d’abattoir… comme les chevaux que j’égorgeais à Montfaucon attendaient leur tour aussi… Alors je voyais rouge, et je commençais à chouriner… à chouriner… sur ces hommes, comme autrefois sur les chevaux… Mais plus je chourinais de soldats, plus il en revenait… Et en mourant ils me regardaient d’un air si doux… si doux… que je me maudissais de les tuer… mais je ne pouvais pas m’en empêcher… Ce n’était pas tout… je n’ai jamais eu de frère… et il se faisait que tous ces gens que j’égorgeais étaient mes frères… et des frères pour qui je me serais mis au feu… À la fin, quand je n’en pouvais plus, je m’éveillais tout trempé d’une sueur aussi froide que de la neige fondue…

— C’était un vilain rêve, Chourineur !