Page:Sue - Les mystères de Paris, 10è série, 1843.djvu/329

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prennent à soupirer tout bas et à désirer d’aller aussi bercer leur oisiveté sur des couches de rose, au bruit des cascades qui pleurent doucement dans les conques moussues, au chant des oiseaux perdus dans les feuilles. Leur route est si stérile, leur misère si triste qu’on leur pardonne ces vœux insensés. Et puis elles n’ont qu’une richesse, leurs seize ans, leurs fraîches couleurs, leur front blanc, et le travail leur prend tout cela ; elles se voient vieillir, maigres, pâles, ridées, et alors si la séduction vient jeter dans leur oreille ses paroles douces et harmonieuses, si quelqu’un leur tend la main pour les conduire de leur désert à l’oasis magique, elles se laissent aller, elles tombent ! C’est qu’aussi la misère et la fatigue les ont brisées aux trois quarts. Elles tombent ! et dans leur chute roulent jusqu’au crime. Crime sans excuse, irrémissible ; car, dit M. E. Sue avec une poignante ironie :

« Cette malheureuse prétend avoir tué son enfant, je dirai même notre enfant, parce que je l’ai abandonnée… parce que, se trouvant seule dans la plus profonde misère, elle s’est épouvantée, elle a perdu la tête. Et pourquoi ? parce qu’ayant, disait-elle, à soigner, à nourrir son enfant, il lui devenait impossible d’aller de long-temps travailler dans son atelier et de gagner ainsi sa vie et celle du résultat de notre amour.

» Que diable ! ce n’est pas tout pour une jeune fille que de perdre l’honneur, de braver le mépris, l’infamie et de porter un enfant illégitime neuf mois dans son sein… il lui faut encore l’élever, cet enfant ! le soigner, le nourrir, lui donner un état, en faire enfin un honnête homme comme son père, ou une honnête fille qui ne se débauche pas comme sa mère. »